Congés payés : un salarié malade acquiert bien des jours de congé !

Publié le 14/09/2023 à 11:00, modifié le 22/12/2023 à 12:46 dans Congé, absence et maladie.

Temps de lecture : 6 min

La Cour de cassation vient de publier une série d’arrêts de la plus haute importance en écartant le droit français au profit du droit européen pour juger que la maladie ne doit pas avoir d’impact sur les congés payés d’un salarié. Désormais lorsque vous calculez les congés payés de vos salariés, vous devez donc inclure les périodes d’arrêt maladie. Et ce n’est pas le seul changement…

Arrêt maladie et congés payés : le Code du travail est contraire au droit européen

L’acquisition de congés payés implique en principe du travail effectif. Un salarié a ainsi droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur (Code du travail, art. L. 3141-3).

Certaines absences sont toutefois assimilées à du travail effectif. C'est le cas par exemple en cas de congé de maternité ou maladie professionnelle (dans la limite d'une durée ininterrompue d'un an).

En revanche, la maladie non professionnelle n’est pas assimilée par le Code du travail à du travail effectif en ce qui concerne l’acquisition de congés payés sauf dispositions plus favorables.

Une situation qui est contraire au droit européen et plus particulièrement à la directive 2003/88/CE qui n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il ne doit y avoir aucune condition de travail effectif pour acquérir des congés payés.

Récemment l’Etat français s’est d’ailleurs fait condamner par une cour d’appel du fait du retard de transposition (voir notre article « Arrêt maladie et acquisition de congés payés : l’Etat condamné ! »).

On s’attendait donc à une évolution prochaine du Code du travail. Mais la Cour de cassation a décidé de ne pas attendre. Elle se saisit d’une possibilité qu’elle avait déjà laissé entrevoir dans une précédente décision : s’appuyer sur la charte des droits fondamentaux pour demander à ce que le droit interne soit interprété au regard de directives européennes non transposées, voire même écarté au profit de textes européens (voir notre précédant article « Congés payés : impact du droit de l’Union européenne sur l’acquisition et le report des congés payés en cas d’arrêt maladie »).

Une application directe du droit européen par les juges

Dans plusieurs décisions du 13 septembre et un communiqué de presse, la Cour de cassation explique, qu’eu égard à l’article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, sur le droit au repos, elle écarte les dispositions du droit français qui ne sont pas conformes au droit de l’Union européenne. Elle s’appuie également sur la Cour de justice de l’Union européenne qui a jugé que ce texte avait vocation à être appliqué dans toutes les situations régies par le droit de l’Union et notamment dans les litiges opposant deux particuliers.

Dans une première affaire elle a ainsi jugé que les salariés atteints d’une maladie ou victimes d’un accident, de quelque nature que ce soit (professionnelle ou non professionnelle) ont le droit de réclamer des droits à congé payé en intégrant dans leur calcul la période au cours de laquelle ils n’ont pas pu travailler. En évinçant purement et simplement le droit français (C. trav., art. L. 3141-3)

Dans une seconde affaire elle a aussi jugé qu’en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, l’indemnité compensatrice de congé payé ne peut être limitée à un an. Elle n’a donc appliqué qu’une partie de l’article L. 3141-5 en laissant de côté la limite d’un an (voir l’article : Acquisition des droits à congés payés pendant un arrêt maladie d’origine professionnelle : levée de la limitation dans le temps).

Bon Ă  savoir

Dans une autre affaire elle précise que le délai de prescription de l’indemnité de congés payés ne peut commencer à courir que si l’employeur a pris les mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer effectivement son droit à congés payés.

Des décisions qui vont avoir un impact direct pour vous. Jusqu’à présent on considérait que seul l’Etat français pouvait voir sa responsabilité engagée et qu’un salarié ne pouvait pas agir directement contre son employeur pour réclamer des congés payés. Mais désormais ce n’est plus le cas ; vous ne pouvez plus vous appuyer sur le Code du travail pour refuser l’acquisition de congé à un salarié malade ou accidenté. Vous devez englober toute la période où le salarié n’a pas pu travailler lorsque vous calculez ses droits à congés.

Et ce n’est sans doute que le début. Une autre décision a d’ailleurs été rendue concernant le congé parental qui précise que lorsque le salarié s'est trouvé dans l'impossibilité de prendre ses congés payés annuels au cours de l'année de référence en raison de l'exercice de son droit au congé parental, les congés payés acquis à la date du début du congé parental doivent être reportés après la date de reprise du travail (voir notre article Congés payés : un nouveau cas de report).

On peut aussi s’attendre prochainement à ce qu’elle s’attaque au cas des salariés qui sont malades alors qu’ils sont en congés payés. Car là aussi le droit français est contraire au droit européen en application duquel le salarié qui bénéficie d’un arrêt de travail pendant ses congés payés a le droit de reporter les jours qu’il n’a pu prendre du fait de son arrêt maladie.

Cour de cassation, chambre sociale, 13 septembre 2023, n° 22-17.638 (il convient d'écarter partiellement l'application des dispositions de l'article L. 3141-5 du Code du travail en ce qu'elles limitent à une durée ininterrompue d'un an les périodes de suspension du contrat de travail pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle assimilées à du temps de travail effectif pendant lesquelles le salarié peut acquérir des droits à congé payé et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période)

Cour de cassation, chambre sociale, 13 septembre 2023, n° 22-17.340 (il convient d'écarter partiellement l'application des dispositions de l'article L. 3141-3 du Code du travail en ce qu'elles subordonnent à l'exécution d'un travail effectif l'acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période)

Cour de cassation, chambre sociale, 13 septembre 2023, n° 22-10.529 (il y a lieu de juger désormais que, lorsque l'employeur oppose la fin de non-recevoir tirée de la prescription, le point de départ du délai de prescription de l'indemnité de congés payés doit être fixé à l'expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris dès lors que l'employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d'assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé)

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Anne-Lise Castell

Juriste en droit social