Nouveautés envisagées en droit social : qu’en est-il vraiment ?

Publié le 19/12/2023 à 08:29 dans Contrat de travail BTP.

Temps de lecture : 6 min

En ce moment il y a énormément d’annonces en droit social dans les médias. Entre rumeurs, simple effet d’annonce d’un ministre, projet véritablement avancé, difficile de s’y retrouver. Pour vous aider à y voir plus clair, nous faisons le point sur 4 sujets : la réduction du délai pour contester un licenciement, la remise en cause de la rupture conventionnelle, la perte des allocations chômage en cas de refus d’un CDI après un CDD, et une loi pour encadrer le report des congés payés.

1er sujet : le délai de contestation de la rupture du contrat de travail

La règle actuelle

Aujourd’hui sauf exception, il est possible pour un salarié de contester la rupture de son contrat de travail dans un délai de 12 mois à compter de la notification de la rupture (Code du travail, art. L.1471-1).

Ce qu’on entend

Le délai de contestation de 12 mois pourrait être réduit à 2 mois.

Qu’en est-il réellement ?

Tout est parti d’une interview du ministre de l’Economie Bruno Le Maire pour le journal Le Parisien qui a annoncé que le recours contre l’entreprise pendant 12 mois était trop long. « Dans tous les autres pays développés, c'est deux mois. Cela me semble un bon délai ». Il souhaite que cette mesure soit inscrite dans la future loi Pacte II qu’il doit présenter en début d’année.

Un tel changement implique en effet une modification de la partie législative du Code du travail et doit donc être intégrée à une loi.

Reste à savoir si cette disposition figurera vraiment au menu de cette loi ou d’une autre pour l’instant il n’y a en tout cas pas de confirmation officielle.

La rupture conventionnelle

La règle actuelle

Il est possible pour l’employeur et le salarié de se mettre d’accord pour mettre fin au CDI qui les lie via la rupture conventionnelle. La rupture conventionnelle ouvre droit aux allocations d'assurance chômage pour le salarié (après une carence éventuelle).

Ce qu’on entend

Certains médias ont annoncé que la Première ministre envisageait de restreindre l’accès aux ruptures conventionnelles, le dispositif serait trop utilisé pour accéder au chômage.

Qu’en est-il réellement ?

Le ministre du Travail Olivier Dussopt s’est exprimé à la radio le 10 décembre sans annoncer de changement immédiat. Il a souligné qu’il y avait 500 000 ruptures conventionnelles par an et qu’il s’agissait d’un outil de fluidité. Il alerte toutefois sur un point : que « la rupture conventionnelle ne soit pas utilisée comme un outil de sortie du marché du travail des seniors ».

Notez qu’il y a déjà eu un gros changement au niveau du régime social de l’indemnité de rupture conventionnelle avec la réforme des retraites pour les salariés qui sont en droit de bénéficier d’une pension de retraite. En effet pour les ruptures conventionnelles dont le terme est postérieur au 31 août 2023, l’indemnité versée aux salariés seniors est exonérée de forfait social mais soumise à une contribution patronale de 30 %.

Et là-dessus, il va encore y avoir du nouveau prochainement, la LFSS pour 2024 ayant souhaité réécrire les règles jugées trop ambiguës sur ce sujet (voir notre article « Loi de financement de la Sécurité sociale 2024 : les mesures qui touchent à la rémunération, aux cotisations et à la taxe sur les salaires »).

Le refus d’une proposition en CDI

Fin 2022, la loi sur le marché du travail a prévu que les salariés qui refusent de façon répétée plusieurs offres d’emploi en CDI au terme de leur CDD (ou contrat d’intérim) pourront être privés de leur indemnisation au chômage sous certaines conditions.

L’employeur devant informer Pôle emploi en cas de refus en justifiant du caractère similaire de l’emploi proposé. Mais ce dispositif n’est pas encore applicable faute de parution du décret d’application.

Ce qu’on entend

Le décret est imminent, le dispositif va s’appliquer très rapidement.

Qu’en est-il réellement ?

Il y a un effet un projet de décret qui a été dévoilé et prévoit une entrée en vigueur au 1er janvier 2024. Mais son contenu pourrait encore être modifié puisqu’il a été transmis au Conseil d’administration de Pôle emploi pour avis.

Ce texte provisoire prévoit notamment que le salarié devrait avoir un délai raisonnable pour répondre à la proposition de CDI et que celle-ci devrait lui être notifiée avant le terme du CDD (ou de la mission).

A l’issue du délai de réflexion, l’employeur aurait un mois pour notifier le refus à France Travail (qui va remplacer Pôle emploi). C’est France Travail qui informerait le salarié des conséquences du refus de CDI sur l’ouverture de droit à l’allocation chômage.

A suivre !

Le report des congés payés

Le séisme est arrivé le 13 septembre dernier avec plusieurs décisions de la Cour de cassation qui ont écarté le droit français jugé contraire au droit européen pour considérer notamment :

  • que les salariĂ©s atteints d’une maladie ou victimes d’un accident, de quelque nature que ce soit (professionnelle ou non professionnelle) ont le droit de rĂ©clamer des droits Ă  congĂ© payĂ© en intĂ©grant dans leur calcul la pĂ©riode au cours de laquelle ils n’ont pas pu travailler ;
  • que le dĂ©lai de prescription de l’indemnitĂ© de congĂ©s payĂ©s ne peut commencer Ă  courir que si l’employeur a pris les mesures nĂ©cessaires pour permettre au salariĂ© d’exercer effectivement son droit Ă  congĂ©s payĂ©s.

Vous pouvez retrouver tous les détails de ces décisions et de leur impact ici :

Des décisions qui ont mis un coup de pression aux pouvoirs publics alors qu’une mise en conformité au droit européen était attendue depuis des années.

Ce qu’on entend

Les pouvoirs publics ont décidé de prendre une loi pour limiter les effets de ces décisions.

Qu’en est-il réellement ?

Il y a en effet des annonces mais rien d’encore de très concret. C’est d’abord Olivier Véran qui a indiqué mi-novembre que le Gouvernement continuait d’expertiser les conséquences juridiques et recherchait le meilleur véhicule législatif pour intervenir.

Puis, une échéance a enfin été évoquée par Elisabeth Borne lors du salon Impact PME le 30 novembre 2023 : « Nous mettrons notre droit en conformité au cours du 1er trimestre 2024, mais je souhaite réduire au maximum l'impact de cette décision sur vos entreprises ».

On peut donc s’attendre à une loi sur ce sujet au premier semestre 2024. Il ne serait pas illogique que cela se fasse via le nouveau projet de loi DDADUE (diverses dispositions d'adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole) déposé au Parlement le 15 novembre 2023. Il ne contient actuellement rien à ce sujet mais pourrait faire l’objet d’amendements.

Quant à son contenu, on peut imaginer en premier lieu que la durée du report des congés payés soit limitée. La CJUE a en effet confirmé récemment que les Etats pouvaient le faire et a déjà validé une période de report limitée à 15 mois.

Notez qu’on attend également une réaction du Conseil constitutionnel d’ici le 15 février 2024 (voir notre article « Maladie et congés payés : au tour du Conseil constitutionnel d’être saisi ».

Au niveau du BTP il y a une particularité à ce sujet puisque la gestion des congés relève de la responsabilité de la caisse des congés payés. Mais le surcoût en termes d’indemnisation pour les caisses fait craindre une répercussion directe aux employeurs sur le taux de leur cotisation.

Pour le moment la seule communication officielle des Caisses fait état de nombreuses analyses en cours (voir notre article « Changements sur les congés payés : le premier retour des caisses de congés suite aux arrêts du 13 septembre 2023 »).

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Anne-Lise Castell

Juriste en droit social