Télétravail massif : innover pour maintenir la cohésion des équipes
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Les temps « interstitiels »
Paul Fustier, professeur de psychologie Ă lâUniversitĂ© Lyon-LumiĂšre-II, reprend le terme « dâespaces interstitiels » pour dĂ©signer ces « espace-temps ambigus (âŠ) qui font lâobjet dâun fort investissement de la part des membres dâune Ă©quipe ». Ils sont notamment lâoccasion :
- dâĂ©changer des nouvelles, de sâoffrir un soutien mutuel ou de passer un moment agrĂ©able ;
- de partager des informations sur la vie de lâentreprise ou sur le travail ;
- de résoudre un imprévu ou un problÚme ponctuel ;
- dâĂ©voquer les pratiques de travail.
A ce titre, ils nourrissent deux dimensions distinctes de la cohésion :
- la convivialitĂ©, câest-Ă -dire le plaisir partagĂ© Ă travailler ensemble ;
- la coopĂ©ration, câest-Ă -dire la capacitĂ© Ă sâorganiser pour atteindre un objectif commun.
Ces temps sont donc susceptibles de renforcer le sentiment dâappartenance, le sens et la motivation pour le travail. Ils se dĂ©roulent classiquement Ă lâespace cafĂ©, dans le hall dâentrĂ©e, ou encore entre un couloir et la porte dâun bureau. On observe, notamment chez les salariĂ©s du tertiaire, que la pratique massive du tĂ©lĂ©travail diminue drastiquement, voire supprime, ces espaces interstitiels. Si lâon reprĂ©sente la qualitĂ© de vie au travail comme une balance, le risque est grand de la voir se dĂ©sĂ©quilibrer au profit des facteurs de stress.
Des normes sociales bousculées
TĂ©lĂ©travail ou non, les interactions se voient modifiĂ©es par la nĂ©cessitĂ© des gestes barriĂšres. Outre la recommandation de limiter les rassemblements, la seule distanciation sociale implique de moindres possibilitĂ©s. En fonction de la configuration des locaux (volume et amĂ©nagement des espaces), il peut ĂȘtre difficile dâorganiser des temps de convivialitĂ© ou des sessions de travail, dâautant plus que les lieux extĂ©rieurs ne sont plus accessibles en pĂ©riode de confinement (restaurants, salles de sĂ©minaires, etc.).
On observe Ă©galement un clivage croissant entre les personnes respectant les gestes barriĂšres Ă la lettre et celles qui prennent plus de libertĂ©s. Ces tensions peuvent ĂȘtre accrues par une certaine Ă©trangetĂ©, le port du masque empĂȘchant la lecture des expressions dâautrui et gĂȘnant les Ă©changes (articulation, volume sonore). Bien que lâon ne puisse pas prĂ©dire lâimpact Ă long terme des pratiques liĂ©es Ă la crise sur les habitudes de travail, on observe dĂ©jĂ un certain glissement des normes :
- évitement du contact physique ;
- travail asynchrone majoritaire ;
- absence de changement des mĂ©thodes dâanimation des rĂ©unions (prĂ©sentiel VS visio) ;
- suppression des rencontres entre des salariĂ©s nâayant pas de lien fonctionnel ou hiĂ©rarchique direct.
La plus grande vigilance est donc de mise pour suivre lâadaptation des collectifs Ă ces nouvelles contraintes.
Faire vivre la cohésion des équipes
La cohĂ©sion est un facteur de protection de premier ordre contre le risque psychosocial. Elle doit faire lâobjet dâefforts concrets pour lâanimer au quotidien. Les temps conviviaux, pour ĂȘtre vĂ©cus comme tels, ne doivent pas avoir dâautre objectif que le simple fait de gĂ©nĂ©rer des interactions. Les salariĂ©s pourront librement utiliser ces dispositifs, par exemple :
- pause-cafĂ© virtuelle ou espace dâĂ©change « comment ça va ? » en dĂ©but ou fin de semaine ;
- dĂ©fis divers (« partagez une chanson que vous aimez avec lâĂ©quipe ») ;
- jeux flash en ligne (Pictionnary, etc.) ;
- Ă©change « speed dating » en fin de semaine, jeu de portrait chinois ou autre support prĂ©parĂ© Ă partir dâun test de personnalitĂ© utilisĂ© dans lâentreprise, particuliĂšrement utile pour intĂ©grer les nouvelles recrues ou permettre Ă des collaborateurs qui ne se cĂŽtoient pas habituellement de faire connaissance.
Pour dĂ©velopper la coopĂ©ration, on misera davantage sur des thĂ©matiques choisies en lien avec les pratiques de travail. Le format « retour dâexpĂ©rience » est particuliĂšrement intĂ©ressant pour aborder les habitudes implicites liĂ©es Ă la gestion de :
- lâĂ©quilibre vie professionnelle et personnelle en tĂ©lĂ©travail ;
- la charge de travail ;
- des projets transverses ;
- des imprĂ©vus, de la passation de tĂąches au sein de lâĂ©quipe, etc.
En conclusion, face au bouleversement des conditions de travail et la déstabilisation du tissu social qui s'ensuit, les employeurs souhaitant vraiment prévenir les risques psychosociaux investiront leur énergie pour implanter de nouvelles pratiques de cohésion.
Sources :
Fustier, P. (2012). L'interstitiel et la fabrique de l'équipe. Nouvelle revue de psychosociologie, 14(2), 85-96.
Steinhardt, M. A., Dolbier, C. L., Gottlieb, N. H., & McCalister, K. T. (2003). The relationship between hardiness, supervisor support, group cohesion, and job stress as predictors of job satisfaction. American Journal of Health Promotion, 17(6), 382-389. Driskell, T., Driskell, J. E., & Salas, E. (2015). Mitigating stress effects on team cohesion. Team cohesion: Advances in psychological theory, methods and practice, 17, 247-270. Nwobia, I. E., & Aljohani, M. S. (2017). The effect of job dissatisfaction and workplace bullying on turnover intention: Organization climate and group cohesion as moderators. International Journal of Marketing Studies, 9(3), 136-143.
Psychologue clinicienne - Consultante
NĂ©e en 1992 Ă Enghien-les-Bains, Emma Pitzalis est psychologue clinicienne (Paris X), diplĂŽmĂ©e en thĂ©rapies brĂšves et stratĂ©giques de l'Institut Gregory Bateson. Emma a dĂ©butĂ© sa carriĂšre au sein de âŠ
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