Mort subite au travail : quand l’absence de lien avec le travail n’exclut pas la présomption d’imputabilité

Publié le 11/03/2025 à 15:04
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Temps de lecture : 4 min

Tout décès survenu au temps et au lieu de travail est présumé imputable au travail. Le renversement de cette présomption, bien qu’envisageable, semble plus que jamais inatteignable. Et pour cause, même lorsque des expertises médicales arrivent à des conclusions convergentes, elles ne suffisent pas à la faire chavirer. 

Une prise en charge automatique des malaises mortels au travail

Un accident survenu au temps et au lieu de travail est présumé imputable au travail. Si cette présomption peut être renversée par l’existence d’une cause étrangère au travail, force est de constater le caractère infranchissable de cette dernière.

En pratique, les CPAM appliquent cette présomption sans exiger de lien direct avec l’activité professionnelle. Ainsi, même en présence de facteurs de risque personnels, le malaise mortel sur le lieu de travail est automatiquement qualifié d’accident du travail.

L’absence d’un lien de causalité entre la mort subite et le travail

La Cour de cassation s’est dernièrement prononcée sur l’affaire d’un salarié décédé subitement sur son lieu de travail. 

L’expertise ordonnée par le tribunal judiciaire de Reims avait retenu que « la brutalité du décès évoqu[ait] un trouble du rythme ventriculaire ou une dissection ou une embolie pulmonaire éventuellement, et, dans ces trois hypothèse, l’analyse des auditions ne permet[ait] pas d’affirmer l’existence d’un lien entre travail et le décès ».

La nullité de ce rapport d’expertise ayant été prononcée, une seconde expertise avait été sollicitée, concluant de la manière suivante : « Nous ne pouvons pas retenir dans ces conditions d’arrêt cardiaque spécifiquement lié à caractère professionnel. Cette mort subite étant probablement la manifestation spontanée d’un état pathologique non influencé par les conditions de travail ». 

Étant rappelé que les éléments transmis à l’expert lui avaient permis d’identifier avec précision la nature de l’état antérieur dont était atteint le salarié (obésité morbide, antécédents cardiovasculaires significatifs, troubles conductifs sur l’électrocardiogramme), état connu et évolutif.

Ces expertises médicales, écartant tout lien de causalité avec le travail, sont-elles suffisantes pour renverser la présomption d’imputabilité ? La réponse est non.

La cause étrangère ne se déduit pas de l’absence d’un lien de causalité avec le travail

Nous pouvons saluer la cour d’appel de Nancy qui, malgré la position verrouillée de la Cour de cassation, a jugé avec lucidité et bon sens dans le cas qui lui était soumis. 

En rappelant que la fameuse présomption d’imputabilité n’était pas irréfragable, la cour d’appel a fait sienne des deux expertises médicales, constatant que l’impossibilité de déterminer la cause exacte du décès n’excluait cependant pas la démonstration de l’existence d’une cause totalement étrangère au travail qui supposait que le travail n’avait joué absolument aucun rôle dans la survenue du décès.

L’expert avait en effet précisé qu’il ne pouvait « relever de cause extrinsèque liée spécifiquement à son travail qui aurait pu favoriser cette mort subite ». 

Toutefois, la Haute juridiction a cassé l’arrêt de la cour d’appel, notant que celle-ci n’avait pas établi que le décès avait une cause totalement étrangère au travail.

Pour cette dernière, même si des expertises médicales établissaient un lien entre le décès et un état pathologique préexistant, elles ne suffisaient pas à renverser la présomption d’imputabilité. En effet :

  1. L’existence d’antécédents médicaux ne permet pas, à elle seule, de prouver que l’accident est totalement étranger au travail. La Cour de cassation estime que l’accident est la conséquence d’un événement soudain au travail, et non uniquement de l’état de santé du salarié.
  2. Prouver que la mort subite aurait pu survenir à n’importe quel moment de la vie privée ne suffit pas. Il faut démontrer que le travail n’a joué aucun rôle, même infime, ce qui est quasiment impossible dans la pratique, même en présence de rapport d’expertise.

La Cour de cassation adopte une lecture très protectrice des salariés, considérant que si le malaise est survenu au travail, le doute profite à ces derniers. Elle considère que le fait d’être en situation de travail peut, même indirectement, avoir contribué au malaise (stress, posture prolongée, fatigue, etc.).

On peut s’interroger sur la pertinence d’un tel raisonnement. Rappelons que cette extrême rigidité fait peser sur l’employeur une charge financière qui ne devrait pas toujours lui incomber. En d’autres termes, le lieu où survient un accident prime sur ses causes réelles, ce qui peut donner lieu à des situations absurdes. Pourtant, tant que la Cour de cassation maintient cette approche, la présomption d’imputabilité restera quasi irréfragable.

Bien que cette bataille soit semble-t-il perdue, la guerre continue : il est essentiel de poursuivre ce combat légitime pour amener la Haute juridiction à revoir sa position !


Cour de cassation, 2e chambre civile, 27 février 2025, n° 22-23.919 (la présomption d'origine professionnelle d’un décès n’est pas détruite lorsqu’il n’est pas démontré que l’évènement, dont l'origine était inconnue, avait une cause totalement étrangère au travail)

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Aurore Joly-Aulon

Juriste spécialisée en droit de la protection sociale, Aurore a rapidement pris la responsabilité d’un service juridique au sein du Groupe CRIT. En charge des contentieux liés aux accidents du …

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