Licenciement pour inaptitude professionnelle : le respect de l’obligation de reclassement prive-t-il le salarié d’une indemnisation spécifique ?

Publié le 26/04/2023 à 06:32, modifié le 14/02/2024 à 10:14 dans Inaptitude professionnelle.

Temps de lecture : 4 min

Le licenciement pour inaptitude professionnelle ouvre droit à des indemnités spécifiques pour le salarié. Pour autant, il s’en trouve privé s’il décline une proposition de reclassement de façon abusive. Comme vient de le rappeler la Cour de cassation, cette privation ne saurait résulter de la position de l’employeur à l’égard de son obligation de reclassement.

Les indemnités spécifiques au licenciement pour inaptitude professionnelle

Un salarié dont l’inaptitude résulte d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle peut être licencié. Pour cela, l’employeur doit justifier :

  • soit de son impossibilitĂ© Ă  lui proposer une offre de reclassement ;
  • soit du refus par le salariĂ© d’une offre de reclassement ;
  • soit d’une dispense de reclassement expressĂ©ment accordĂ©e par le mĂ©decin du travail.

Notez le

L’obligation de reclassement est réputée satisfaite dès lors que l’employeur propose loyalement au salarié un autre emploi :

  • appropriĂ© Ă  ses capacitĂ©s et disponible ;
  • prenant en compte, après avis du CSE, des conclusions et indications Ă©crites du mĂ©decin du travail ;
  • au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient ;
  • aussi comparable que possible Ă  l'emploi prĂ©cĂ©demment occupĂ©, au besoin par la mise en Ĺ“uvre de mesures (mutations, amĂ©nagements, adaptations ou transformations de postes ou amĂ©nagement du temps de travail).

Le caractère professionnel de l’inaptitude du salarié licencié active le versement d’indemnités spécifiques, et ce, quelle que soit son ancienneté.

Celles-ci prennent la double forme :

  • d’une indemnitĂ© compensatrice : dont le montant est Ă©gal Ă  celui de l’indemnitĂ© compensatrice de prĂ©avis ;
  • d’une indemnitĂ© spĂ©ciale de licenciement : dont le montant est Ă©gal au double de l’indemnitĂ© lĂ©gale de licenciement sauf dispositions conventionnelles plus favorables.

Notez le

Par principe, seule l’indemnité légale de licenciement est assujettie à ce doublement. Par exception toutefois, l’indemnité conventionnelle de licenciement peut être doublée si la convention collective le prévoit expressément. De même, il n’est pas impossible qu’une indemnité légale doublée soit écartée au profit d’une indemnité conventionnelle non doublée.

Pour autant, ces conditions d’indemnisation évoluent si le salarié inapte décline une offre de reclassement de manière abusive. Dans ce cas, il n’aura droit qu’au seul versement de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement.

La Cour de cassation a récemment eu l’opportunité de chasser une confusion relative aux conditions d’octroi de ces indemnités spécifiques.

Un droit aux indemnités sans lien avec le respect de l’obligation de reclassement

En l’espèce, un salarié est victime d’un accident du travail. A l’issue de deux examens médicaux, il est déclaré inapte à son poste. Quelques mois plus tard, il est licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Le litige se noue alors autour de l’indemnisation de son licenciement. Et pour cause, l’employeur refuse de lui verser une indemnité compensatrice ainsi qu’une indemnité spéciale de licenciement.

Le salarié est débouté par les juges d’appel. Selon ces derniers, seul le manquement de l’employeur à son obligation de reclassement justifie le versement de ces indemnités. Ce qui, en l’occurrence, n’était pas le cas. Le salarié était donc privé à juste titre de cette indemnisation.

Il s’agit là d’une erreur d’analyse pour la Cour de cassation car celle-ci revient à ajouter une condition imprévue par la loi. En l’occurrence, rien ne privait le salarié du droit à ces indemnités puisque :

  • son inaptitude Ă©tait d’origine professionnelle ;
  • son licenciement Ă©tait justifiĂ© par l’impossibilitĂ© de le reclasser ;
  • un refus abusif Ă  une proposition de reclassement n’était pas rapportĂ©.

Cette solution permet ainsi de rappeler que le respect de l’obligation de reclassement autorise, certes, à procéder au licenciement d’un salarié inapte.

Mais elle corrige surtout une présomption inexacte en rappelant qu’il existe une nuance notable entre le refus abusif du reclassement proposé et le respect de l’obligation de reclassement. En effet, le caractère abusif du refus opposé par le salarié ne peut être déduit du simple fait que l’employeur a satisfait à son obligation de reclassement.

Pour en savoir plus sur les conséquences attachées à l’inaptitude d’un salarié, nous vous conseillons notre documentation « Santé sécurité au travail ACTIV ».


Cour de cassation, chambre sociale, 12 avril 2023, n° 21-23.295 (en retenant que le paiement d'une indemnité d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis ainsi que de l'indemnité spéciale de licenciement égale au double de l'indemnité de licenciement n’était dû qu'en cas de manquement de l'employeur à son obligation de reclassement, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas)

Portraits Tissot 046 2023 Gilles Piel 2

Axel Wantz

Juriste en droit social et rédacteur au sein des Editions Tissot