Souffrance au travail : l’employeur qui décide de sanctionner le salarié plutôt que de l’aider s’expose à la prise d’acte

Publié le 25/04/2018 à 08:30 dans Obligations de l’employeur.

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L’étude de la jurisprudence met en avant le lien étroit existant entre prise d’acte et manquement à l’obligation de sécurité. Un enseignant en arrêt maladie en raison de l’agressivité de l’un de ses élèves et à l’encontre duquel l’employeur a envisagé de prononcer une sanction peut-il prendre acte de la rupture ?

Souffrance au travail : lien entre prise d’acte et obligation de sécurité

L’employeur est tenu à une obligation de sécurité en matière de protection de la santé aussi bien physique que mentale et de la sécurité des salariés (Code du travail, art. L. 4121-1).

Zoom Tissot : Initialement, en vertu du contrat de travail le liant à ses salariés, l’employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat. Il engageait sa responsabilité même en démontrant qu’il n’avait commis aucune faute ou qu’il avait pris toutes les mesures propres à faire cesser le trouble. Néanmoins, depuis son inauguration avec les arrêts amiante, la Cour de cassation a de nombreuses fois infléchie sa position au sujet de l’obligation de sécurité de résultat. Aujourd’hui, cette obligation est davantage assimilée à une « obligation de moyens renforcée ».

La prise d’acte permet au salarié de rompre le contrat de travail aux torts de l’employeur en cas de manquement suffisamment grave de l’employeur empêchant la poursuite du contrat de travail.

Les juges ont à de nombreuses reprises associé la prise d’acte avec le manquement à l’obligation de sécurité en matière de santé mentale. Il a déjà était reconnu que l’existence de faits de harcèlement moral, quand bien même l’employeur aurait pris des mesures visant à faire cesser le trouble constituait un manquement suffisamment grave de l’employeur justifiant une prise d’acte. La même décision avait été rendue concernant des faits de violences physiques ou morales subis sur le lieu de travail.

Dans ce cas, la prise d’acte du salarié victime de violences produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Or, cette jurisprudence a été assouplie :

  1. le harcèlement ne rime plus forcément avec manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur dès lors qu’il a pris des mesures immédiates propres à faire cesser le trouble (voir notre article : Obligation de sécurité de résultat : assouplissement en matière de harcèlement moral) ;
  2. le manquement à l’obligation de sécurité ne rime plus forcément avec prise d’acte puisqu’il faut désormais démontrer que le manquement était suffisamment grave pour justifier ce mode de rupture (Cass. soc., 11 mars 2015, n° 13-18.603).

Ainsi, pour que la prise d’acte engagée en raison d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, il faut que ledit manquement soit suffisamment grave pour compromettre la poursuite du contrat. Les juges ont toute latitude pour apprécier la gravité des faits et le cas échéant, pour apparenter cette prise d’acte à une démission.

Souffrance au travail : sanctionner plutôt que de remédier au problème vaut prise d’acte

La question du lien entre prise d’acte et obligation de sécurité de l’employeur s’est une nouvelle fois posée pour les Hauts magistrats.

En l’espèce, un formateur refusait de recevoir en cours un apprenti ayant fait preuve d’agressivité verbale à son encontre. L’employeur avait engagé une procédure disciplinaire à l’égard du salarié qui finalement n’a pas donné lieu à sanction en raison de l’arrêt de travail de ce dernier. Par la suite, le salarié a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur en invoquant un manquement à son obligation de sécurité.

L’initiative de l’enseignant est confortée par la cour d’appel qui déclare la rupture du contrat de travail imputable à l’employeur et le condamne au versement de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité.

Pour sa défense, l’entreprise avançait les arguments suivants :

  • que le fait, pour un enseignant d’un centre de formation des apprentis, de se faire insulter par l’un de ses Ă©lèves ne constitue pas nĂ©cessairement un risque professionnel susceptible de porter atteinte Ă  la santĂ© mentale du salariĂ© ;
  • que ledit incident ne s’était produit qu’une seule fois excluant ainsi l’existence d’un traumatisme ;
  • que le fait de changer l’élève de classe n’aurait pas Ă©tĂ© opportun car susceptible d’exposer d’autres enseignants Ă  ce comportement agressif.

Peu importe les motifs avancés, pour la Cour de cassation, le fait de laisser un salarié en détresse psychologique justifie la prise d’acte de la rupture.

D’une part, l’entreprise avait manqué à son obligation de sécurité puisqu’elle n’avait pas tenu compte de la souffrance morale et psychologique exprimée par le salarié ni pris des mesures suffisantes pour y remédier malgré une demande en ce sens du CHSCT. D’autre part, elle avait préféré s’engager sur la voie de la sanction alors même qu’il n’était pas démontré que le salarié avait habituellement des difficultés relationnelles avec ses élèves.

Sans surprise, ce manquement était suffisamment grave pour justifier la prise d’acte du salarié.

Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, 7 février 2018, n° 16-19456 et 16-21.796

Pour tout savoir de la jurisprudence sur l’obligation de sécurité de l’employeur, les Editions Tissot vous conseillent leur documentation « Jurisprudence commentée en santé sécurité au travail ».


Cour de cassation, chambre sociale, 7 février 2018, n° 16-19.456 et 16-21.796 (l’employeur qui décide de sanctionner un salarié en souffrance psychologique plutôt que de se conformer à son obligation de sécurité s’expose à la prise d’acte)

Leslie Lacalmontie

Juriste-rédactrice