D’une pierre, deux coups : diminuer le nombre d’accidents du travail et augmenter la cohĂ©sion des Ă©quipes

Publié le 06/03/2024 à 07:42 dans Risques psychosociaux.

Temps de lecture : 4 min

Tous les managers et les membres des Ă©quipes QHSE de sites industriels vous le diront : ils rĂ©pĂštent inlassablement, et le plus souvent sans succĂšs, les mĂȘmes consignes de sĂ©curitĂ©. Finalement personne n’est content : les uns passent pour de pĂ©nibles empĂȘcheurs, les autres pour d’éternelles tĂȘtes de mule, et il y a toujours autant d’accidents. Comment remĂ©dier durablement Ă  ce problĂšme ?

Les écueils des méthodes classiques

Pour espĂ©rer diminuer significativement le nombre d’accidents du travail (et leur gravitĂ©), il faut commencer par comprendre pourquoi les mesures couramment prises ne fonctionnent pas :

  • sensibilisation et formation : si elles permettent aux collaborateurs de comprendre les procĂ©dures de sĂ©curitĂ©, les prĂ©cautions Ă  prendre et les gestes sĂ»rs, leur cĂŽtĂ© abstrait, et parfois incohĂ©rent avec les rĂ©alitĂ©s du mĂ©tier, ne conduit pas Ă  un rĂ©el changement de comportement au quotidien et dans la durĂ©e ;
  • rĂ©compenses financiĂšres basĂ©es sur l’absence d’accident (primes et intĂ©ressement) : elles gĂ©nĂšrent des effets pervers. L’envie d’obtenir la rĂ©compense conduit les salariĂ©s Ă  Ă©viter de dĂ©clarer tous les accidents et l’on obtient finalement une reprĂ©sentation altĂ©rĂ©e de la rĂ©alitĂ©.

Un programme ingénieux, peu coûteux et facile à implémenter

Les chercheurs en ingénierie et en psychologie, Paul Yeow et David Goomas, se sont associés afin de mener une expérience in vivo.

Les sites choisis Ă©taient deux usines de conditionnement de produits liquides (lait, jus de fruit, etc.) d’environ 300 salariĂ©s. Si les accidents les plus courants correspondaient Ă  de simples chutes sur le sol humide, d’autres accidents, impliquant notamment les machines, pouvaient ĂȘtre beaucoup plus graves.

Les chercheurs ont proposĂ© au personnel de l’une des deux usines de mettre en place un jeu impliquant des rĂ©compenses s’ils parvenaient Ă  Ă©viter d’avoir des accidents (groupe test), tandis que l’autre usine conservait son mode de fonctionnement habituel (groupe contrĂŽle).

Jeu

Personnes concernées

Objectif

RĂ©compense (chĂšque cadeau)

Bingo

Tout le monde

1 semaine sans accident

Chaque membre de chaque équipe gagnante reçoit 20 $

Tombola 1

Équipes ayant gagnĂ© 4 fois de suite le jeu de Bingo

1 mois sans accident

10 collaborateurs sont tirés au sort, chacun reçoit 100 $

Tombola 2

Équipes ayant gagnĂ© 3 fois de suite le jeu de Tombola 1

3 mois sans accident

50 collaborateurs sont tirés au sort, chacun recevant 100 $

Au dĂ©but de la phase d’expĂ©rimentation, on a proposĂ© au personnel des deux usines une liste de comportements et de prĂ©cautions recommandĂ©s, tels que :

  • nettoyer immĂ©diatement les liquides renversĂ©s ;
  • porter les vĂȘtements de protection adaptĂ©s Ă  chaque zone (congĂ©lateur, presse, etc.) ;
  • ne pas laisser d’outils dans les allĂ©es et sur les machines ;
  • etc.

Les collaborateurs Ă©taient encouragĂ©s Ă  discuter rĂ©guliĂšrement de la bonne application de ces usages avec les membres de leur Ă©quipe. Ensuite, chaque semaine, les rĂ©sultats des jeux Ă©taient affichĂ©s dans l’usine test, mentionnant seulement les Ă©quipes gagnantes. Dans l’usine contrĂŽle, on affichait uniquement le nombre de jours passĂ©s sans accident.

AprĂšs deux ans d’implĂ©mentation, on a observĂ© les rĂ©sultats suivants :

Jeu

Nombre d’accidents

Comportements observés

Usine test

Diminution de 42 % des accidents la 1Úre année

Diminution de 33 % la 2Úme année

A chaque pause, on observe des collaborateurs qui s’arrĂȘtent devant l’affichage de la cafĂ©tĂ©ria pour :

  • lire les rĂ©sultats ;
  • se comparer entre Ă©quipes ;
  • partager des feedback entre membres d’une mĂȘme Ă©quipe concernant les comportements relatifs Ă  la sĂ©curitĂ©.

Cette émulation de groupe était accrue lorsque les jeux de Tombola 1 et 2 ont été ouverts

Usine contrĂŽle

Pas de rĂ©duction du nombre d’accidents

TrĂšs peu de salariĂ©s s’arrĂȘtent pour lire l’affichage

Absence de discussion sur les comportements liés à la sécurité

Ainsi, en plus d’une diminution significative des accidents, et des coĂ»ts qui y sont liĂ©s, la cohĂ©sion des Ă©quipes a progressĂ© du fait des discussions sur les pratiques de travail (qui n’avaient pas lieu auparavant). Et on a pu dĂ©charger les managers et les Ă©quipes QualitĂ©, HygiĂšne, SĂ©curitĂ©, Environnement (QHSE) du rĂŽle pĂ©nible consistant Ă  rabĂącher les rĂšgles de sĂ©curitĂ©.

Ce rĂ©sultat est permis par l’alliance :

  • d’un retour d’informations rĂ©gulier et Ă  court terme sous la forme d’une rĂ©compense financiĂšre ;
  • des feedbacks entre collĂšgues Ă  l’occasion de discussions courtes et informelles et qui impliquent une forme d’influence sociale ;
  • de la dimension ludique et compĂ©titive impliquĂ©e par le jeu.

En conclusion, retenons que la prĂ©vention des risques ne nĂ©cessite pas de lourdes dĂ©penses financiĂšres. Plus simplement, elle consiste pour l’essentiel Ă  employer stratĂ©giquement, et Ă  bon escient, nos connaissances de la psychologie humaine et de ses mĂ©canismes. Ce n’est pas l’autoritĂ© ou la menace, mais bien davantage l’implication intelligente des individus qui permet une Ă©volution notable de la rĂ©duction des risques au travail.

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Emma Pitzalis

Psychologue clinicienne - Consultante

Née en 1992 à Enghien-les-Bains, Emma Pitzalis est psychologue clinicienne (Paris X), diplÎmée en thérapies brÚves et stratégiques de l'Institut Gregory Bateson. Emma a débuté sa carriÚre au sein de