AT/MP : faute inexcusable et inopposabilité, une jonction aux enjeux distincts
Le système judiciaire français est rĂ©putĂ© pour sa densitĂ© et sa complexitĂ©. Tant et si bien que les juges s’y perdent parfois eux-mĂŞmes. Illustration avec la cour d’appel d’Amiens qui, saisie de deux affaires distinctes, l’une portant sur la faute inexcusable de l’employeur, l’autre sur l’inopposabilitĂ© d’une dĂ©cision de prise en charge, a involontairement portĂ© atteinte au principe du droit Ă un recours effectif.Â
L’inopposabilité : un contentieux initié par l’employeur
Lorsque la CPAM prend en charge un sinistre au titre de la lĂ©gislation professionnelle, l’employeur a la possibilitĂ© de contester cette dĂ©cision dans un dĂ©lai de 2 mois.Â
Il sollicite alors l’inopposabilité de la décision et ses arguments peuvent reposer, entre autres, sur l’absence de caractère professionnel de l’accident ou de la maladie et/ou sur le non-respect du principe du contradictoire à son égard par la CPAM.
Rappel
Le principe du contradictoire garantit aux parties qu’elles ne peuvent pas être jugées sans avoir été entendues ou a minima appelées. Il induit aussi que chaque partie a le droit de prendre connaissance des arguments de fait, de droit et de preuve à partir desquelles elle sera jugée.
Une fois l’inopposabilitĂ© obtenue, l’employeur peut solliciter une baisse de ses taux de cotisations AT/MP.Â
En raison de l’indépendance des rapports entre la CPAM et l’employeur, d’une part, et entre la CPAM et l’assuré, d’autre part, le salarié reste normalement à l’écart de ce contentieux. Il n’est pas impacté par la décision des juges dans la mesure où la prise en charge de son sinistre est définitive à son égard. L’action de l’employeur en inopposabilité n’a donc aucune incidence sur les droits acquis des salariés.
La faute inexcusable : un contentieux initié par le salarié
Le salariĂ© victime d'un sinistre professionnel a droit Ă une indemnisation forfaitaire par la SĂ©curitĂ© sociale au titre du rĂ©gime spĂ©cial des accidents du travail, ce qui lui interdit d'engager la responsabilitĂ© de l'employeur en rĂ©paration du prĂ©judice subi.Â
Il existe toutefois une exception lorsque le salariĂ© victime considère que son sinistre rĂ©sulte de la faute inexcusable de son employeur. Autrement dit, que son employeur avait ou aurait dĂ» avoir conscience du danger et qu’il n’a pas pris les mesures nĂ©cessaires pour l’en prĂ©server.Â
L’intĂ©rĂŞt pour la victime est d’obtenir une majoration de sa rente et la rĂ©paration de ses prĂ©judices devant le juge.Â
En pratique, en cas de condamnation de l’employeur, c’est la CPAM qui avance les frais au salarié victime d’une telle faute. Charge ensuite à l’employeur de les rembourser.
Notez le
La jurisprudence rappelle rĂ©gulièrement que le sens de la dĂ©cision prise par la CPAM (accord ou refus de prise en charge) est sans incidence sur l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur exercĂ©e par la victime.Â
L’articulation entre la faute inexcusable et l’inopposabilité
Fût un temps, lorsque l’employeur avait obtenu devant le juge l’inopposabilité d’un sinistre professionnel, cela lui permettait d’obtenir l’inopposabilité de toutes les conséquences financières liées à la reconnaissance d’une faute inexcusable. Autrement dit, la CPAM se retrouvait contrainte d’assumer seule la charge financière d’une telle faute puisqu’elle ne pouvait pas obtenir de remboursement auprès de l’employeur.
Cette situation a toutefois pris fin le 1er janvier 2013, l’article L. 452-3-1 du Code de la sécurité sociale ayant instauré le principe selon lequel toute inopposabilité obtenue en raison du non-respect du principe contradictoire ne peut empêcher l’employeur de s’acquitter des conséquences financières d’une faute inexcusable. Ce qui, a contrario, signifie que l’employeur peut invoquer l’inopposabilité obtenue sur le caractère professionnel du sinistre pour convaincre le juge saisi de la faute inexcusable.
En tout état de cause, la reconnaissance de la faute inexcusable, qui est indépendante de la prise en charge au titre de la législation professionnelle, n’implique pas que l’accident ait été préalablement déclaré à la caisse par la victime. En effet, le tribunal judiciaire est en mesure, après débat contradictoire, de rechercher si l’accident ou la maladie présente un caractère professionnel, et si le salarié établit avoir été victime d’une faute inexcusable de l’employeur.
La jonction des procédures ne fait pas disparaître leur caractère distinct
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L’inopposabilité : un contentieux initié par l’employeur
Lorsque la CPAM prend en charge un sinistre au titre de la lĂ©gislation professionnelle, l’employeur a la possibilitĂ© de contester cette dĂ©cision dans un dĂ©lai de 2 mois.Â
Il sollicite alors l’inopposabilité de la décision et ses arguments peuvent reposer, entre autres, sur l’absence de caractère professionnel de l’accident ou de la maladie et/ou sur le non-respect du principe du contradictoire à son égard par la CPAM.
Rappel
Le principe du contradictoire garantit aux parties qu’elles ne peuvent pas être jugées sans avoir été entendues ou a minima appelées. Il induit aussi que chaque partie a le droit de prendre connaissance des arguments de fait, de droit et de preuve à partir desquelles elle sera jugée.
Une fois l’inopposabilitĂ© obtenue, l’employeur peut solliciter une baisse de ses taux de cotisations AT/MP.Â
En raison de l’indépendance des rapports entre la CPAM et l’employeur, d’une part, et entre la CPAM et l’assuré, d’autre part, le salarié reste normalement à l’écart de ce contentieux. Il n’est pas impacté par la décision des juges dans la mesure où la prise en charge de son sinistre est définitive à son égard. L’action de l’employeur en inopposabilité n’a donc aucune incidence sur les droits acquis des salariés.
La faute inexcusable : un contentieux initié par le salarié
Le salariĂ© victime d'un sinistre professionnel a droit Ă une indemnisation forfaitaire par la SĂ©curitĂ© sociale au titre du rĂ©gime spĂ©cial des accidents du travail, ce qui lui interdit d'engager la responsabilitĂ© de l'employeur en rĂ©paration du prĂ©judice subi.Â
Il existe toutefois une exception lorsque le salariĂ© victime considère que son sinistre rĂ©sulte de la faute inexcusable de son employeur. Autrement dit, que son employeur avait ou aurait dĂ» avoir conscience du danger et qu’il n’a pas pris les mesures nĂ©cessaires pour l’en prĂ©server.Â
L’intĂ©rĂŞt pour la victime est d’obtenir une majoration de sa rente et la rĂ©paration de ses prĂ©judices devant le juge.Â
En pratique, en cas de condamnation de l’employeur, c’est la CPAM qui avance les frais au salarié victime d’une telle faute. Charge ensuite à l’employeur de les rembourser.
Notez le
La jurisprudence rappelle rĂ©gulièrement que le sens de la dĂ©cision prise par la CPAM (accord ou refus de prise en charge) est sans incidence sur l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur exercĂ©e par la victime.Â
L’articulation entre la faute inexcusable et l’inopposabilité
Fût un temps, lorsque l’employeur avait obtenu devant le juge l’inopposabilité d’un sinistre professionnel, cela lui permettait d’obtenir l’inopposabilité de toutes les conséquences financières liées à la reconnaissance d’une faute inexcusable. Autrement dit, la CPAM se retrouvait contrainte d’assumer seule la charge financière d’une telle faute puisqu’elle ne pouvait pas obtenir de remboursement auprès de l’employeur.
Cette situation a toutefois pris fin le 1er janvier 2013, l’article L. 452-3-1 du Code de la sécurité sociale ayant instauré le principe selon lequel toute inopposabilité obtenue en raison du non-respect du principe contradictoire ne peut empêcher l’employeur de s’acquitter des conséquences financières d’une faute inexcusable. Ce qui, a contrario, signifie que l’employeur peut invoquer l’inopposabilité obtenue sur le caractère professionnel du sinistre pour convaincre le juge saisi de la faute inexcusable.
En tout état de cause, la reconnaissance de la faute inexcusable, qui est indépendante de la prise en charge au titre de la législation professionnelle, n’implique pas que l’accident ait été préalablement déclaré à la caisse par la victime. En effet, le tribunal judiciaire est en mesure, après débat contradictoire, de rechercher si l’accident ou la maladie présente un caractère professionnel, et si le salarié établit avoir été victime d’une faute inexcusable de l’employeur.
La jonction des procédures ne fait pas disparaître leur caractère distinct
Dans un cas soumis à la cour d’appel d’Amiens, l’employeur avait saisi le tribunal judiciaire d’une demande d’inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle mortelle d’un salarié. En parallèle, les ayants-droits du salarié avaient saisi la même juridiction d’une demande en reconnaissance de faute inexcusable.
Aux fins d’une bonne administration de la justice, la jonction des deux affaires avait été prononcée.
Si la cour d’appel a bien voulu statuer sur le caractère professionnel de la maladie, elle a en revanche refusé tout débat sur le principe du contradictoire en se prononçant ainsi : « si en défense à une action en reconnaissance de la faute inexcusable l’employeur peut soutenir que le caractère professionnel de la maladie professionnelle ou de l’accident du travail n’est pas établi, il n’est pas recevable à contester, aux fins d’inopposabilité, la prise en charge par la caisse, au titre de la législation professionnelle, leur prise en charge »
L’on constate que le juge d’appel a opéré une confusion entre l’inopposabilité des conséquences d’une faute inexcusable et l’inopposabilité de la décision de prise en charge.
Ce faisant, le juge d’appel a totalement omis le contentieux en inopposabilitĂ© initiĂ© par l’employeur indĂ©pendamment du contentieux en faute inexcusable initiĂ© par la famille du salariĂ© dĂ©cĂ©dĂ©. Or, il s’agit d’une atteinte au principe fondamental du droit Ă un recours effectif.Â
Fort heureusement, la Cour de cassation a censurĂ© cette dĂ©cision saugrenue en rappelant que l’exercice par la victime d’une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur est sans incidence sur la recevabilitĂ© du recours aux fins d’inopposabilitĂ© de la dĂ©cision de prise en charge d’un sinistre professionnel par l’employeur.Â
Elle rappelle à juste titre que la jonction des deux affaires n’a aucunement fait disparaitre leur caractère distinct, méritant chacune un débat contradictoire et une décision distincte.
Cour de cassation, 2e chambre civile, 27 février 2025, n° 23-18.038 (la jonction d’une procédure tendant à l’inopposabilité d’une décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle et d’une procédure tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur ne fait pas disparaître le caractère distinct des demandes)
Juriste spécialisée en droit de la protection sociale, Aurore a rapidement pris la responsabilité d’un service juridique au sein du Groupe CRIT. En charge des contentieux liés aux accidents du …
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