Recours à un expert habilité par le CSE : l'existence d'un risque grave, identifié et actuel doit être caractérisé au jour de sa délibération

Publié le 23/02/2024 à 08:33 dans Comité social et économique (CSE).

Temps de lecture : 4 min

Le CSE peut, face à un risque grave, identifié et actuel, décider de recourir à un expert habilité. C’est à la condition toutefois, comme vient de le rappeler la Cour de cassation, que l’instance en caractérise l’existence, via sa délibération et au jour de son adoption.

Expertises du CSE : de multiples cas de recours

Le CSE institué dans une entreprise d’au moins 50 salariés dispose, à diverses occasions, d’un droit de recours à l’expertise.

Pour n’en citer que quelques-unes, notez que l’instance peut faire appel à un expert-comptable en vue de sa consultation sur :

  • les orientations stratĂ©giques de l’entreprise ;
  • la situation Ă©conomique et financière de l'entreprise ;
  • la politique sociale de l'entreprise, les conditions de travail et l'emploi.

Mais cet expert peut être également désigné dans le cadre, plus ponctuel, d’une opération de concentration, de l'exercice du droit d'alerte économique ou encore d’un licenciement collectif pour motif économique.

Par ailleurs, force est de constater que l’expert-comptable n’est pas le seul expert auquel le comité peut faire appel. Des circonstances particulières l’autorisent, en effet, à mobiliser un expert habilité.

Et il en va notamment ainsi lorsqu’un risque grave, identifié et actuel est constaté dans l’établissement. Celui peut être, ou non, révélé par un accident du travail, une maladie professionnelle ou une maladie à caractère professionnel.

Notez le

L’employeur supporte intégralement les coûts de cette expertise.

Dès lors, et comme vient de le réaffirmer la Cour de cassation, il incombe au CSE de démontrer la réalité d'un tel risque au jour de sa délibération mais aussi à travers celle-ci.

Recours à une expertise pour risque grave : de l’importance des faits invoqués dans la délibération du comité

La présente affaire débute le 31 mai 2022 lorsque le CSE de la société Electricité de Mayotte adopte une délibération actant le recours à une expertise pour risque grave.

Pour justifier son choix, le comité invoque notamment « la politique industrielle et technique désastreuse de la direction ». Constat qu’elle impute, par extension, à l’aggravation du black-out subi par l’île le 14 février 2022.

Contestant le bien-fondé de cette décision, la société saisit le tribunal judiciaire de Mamoudzou et sollicite l’annulation de ladite délibération.

Les juges du fond rejettent cependant sa demande. Ces derniers considèrent, au contraire, que le recours à l’expertise était effectivement justifié dans la mesure où :

  • il Ă©tait constant et de notoriĂ©tĂ© publique que Mayotte avait Ă©tĂ© victime, le 14 fĂ©vrier 2022, d'un black-out gĂ©nĂ©ralisĂ© de plusieurs heures, et ce, en dĂ©pit des controverses sur son origine exacte ;
  • la remise en service du service de production et de distribution de l'Ă©lectricitĂ© s’était avĂ©rĂ©e pĂ©nible, dangereuse et accidentogène ;
  • ce seul grave incident, prĂ©cĂ©dant de peu la convocation du CSE, suffisait Ă  lui seul pour que soit diligentĂ©e une expertise ad hoc ;
  • il importait peu qu'il s'agisse de la 3e expertise diligentĂ©e par le CSE depuis le dĂ©but de l'annĂ©e 2022, que le mĂŞme cabinet d'expertise ait Ă©tĂ© missionnĂ© chaque fois, ou encore que le coĂ»t de l'expertise « risque grave » soit entièrement supportĂ© par la sociĂ©tĂ©.

Seulement, les faits démontraient que la délibération du CSE ne faisait nullement état de ces circonstances. De ce fait, l’argument à faire valoir devant la Cour de cassation était tout trouvé pour la société.

Et sans surprise, la Haute juridiction l’a accueilli favorablement.

Elle retient, en effet, que les motifs invoqués par le tribunal judiciaire étaient inopérants puisque la décision du CSE n’était pas fondée sur le black-out du 14 février 2022 et les conditions de la remise en marche de différents services.

Elle en déduit, ensuite, que les juges du fond devaient, justement, rechercher si les faits invoqués dans la délibération en cause caractérisaient l'existence d'un risque grave, identifié et actuel au jour de cette délibération.

L’affaire devra donc être rejugée.

Pour en savoir davantage sur le recours, le déroulé et le financement des expertises du CSE, nous vous conseillons notre documentation « CSE ACTIV ».


Cour de cassation, chambre sociale, 14 février 2024, n° 22-18.413 (le président du tribunal, qui devait rechercher si les faits invoqués dans la délibération litigieuse caractérisaient l'existence d'un risque grave, identifié et actuel au jour de cette délibération, n'a pas donné de base légale à sa décision)

Portraits Tissot 046 2023 Gilles Piel 2

Axel Wantz

Juriste en droit social et rédacteur au sein des Editions Tissot