Droit disciplinaire : sanctionner une partie des faits fautifs ne permet pas de sanctionner ensuite les autres faits connus au mĂŞme moment

Publié le 16/02/2024 à 09:44 dans Protection des RP.

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En droit disciplinaire, les règles de forme sont nombreuses. Comme en témoigne l’affaire ci-après, la vigilance reste de mise pour l’employeur qui, sans le vouloir, peut épuiser son pouvoir disciplinaire, l’empêchant alors de sanctionner les faits en cause. Ce qui doit alors amener l’inspection du travail à refuser d’autoriser le licenciement.

Sur le caractère non absolu du pouvoir disciplinaire

Pour rappel, constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.

Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où le supérieur hiérarchique en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

De surcroît, aucun fait fautif ne peut être sanctionné deux fois.

Enfin, l’employeur qui a connaissance de divers faits fautifs commis par le salarié et choisit de n'en sanctionner que certains, ne peut plus ultérieurement prononcer une nouvelle mesure disciplinaire pour sanctionner les autres faits antérieurs à la première sanction (Cass.,soc., 16 janvier 2019, n°17-22.557)

Telle est la portée du rappel opéré ci-après par le Conseil d’Etat.

Sur l’épuisement du pouvoir disciplinaire

En l’espèce, un employeur saisit l’inspection du travail d’une demande d’autorisation de licencier un salarié protégé, suite à plusieurs faits intervenus entre les mois de septembre 2017 et janvier 2018. Or, certains d'entre eux étaient déjà connus par l’employeur lorsque, le 18 décembre 2017, il a sanctionné ledit salarié d’une mise à pied disciplinaire.

A postériori, l’employeur utilise des faits alors connus au 18 décembre 2017 mais non sanctionnés au titre de la mise à pied susvisée pour faire autoriser le licenciement du salarié.

En premier lieu, l’inspection du travail refuse d’accorder à l’employeur l'autorisation de licencier ce salarié protégé.

En deuxième lieu, saisi par un recours hiérarchique formé par l’employeur, le ministre du Travail a annulé la décision de l'inspectrice du travail et autorisé le licenciement susvisé.

En troisième lieu, contestant cette décision devant le juge administratif, le salarié se voit débouté de sa demande, jugement confirmé ensuite à hauteur d’appel.

En dernier lieu le salarié saisit le Conseil d’Etat qui censure alors les juridictions du fond en rappelant que l'employeur qui, ayant connaissance, dans une même période de temps, de divers faits commis par un salarié, non atteints par la prescription légale et considérés par lui comme fautifs, choisit de n'en sanctionner qu'une partie, ne peut prononcer une nouvelle mesure disciplinaire en vue de sanctionner les autres faits dont il avait connaissance à la date de l'infliction de la première sanction.

Ce faisant, il était impossible d’autoriser ce licenciement en ce qu'il se fondait sur des agissements fautifs du salarié qui étaient déjà connus de l'employeur à la date à laquelle il a prononcé une précédente sanction disciplinaire, à savoir la mise à pied du 18 décembre 2017.

Dès lors, l’employeur avait épuisé son pouvoir disciplinaire pour tous les faits dont il a eu connaissance avant le 18 décembre 2017, qu’ils aient été sanctionnés ou pas.

Le salarié était ainsi fondé à solliciter l’annulation de la décision attaquée.


Conseil d’Etat, 4e et 1re chambres réunies, 8 décembre 2023, n° 466620 (l'administration, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé pour un motif disciplinaire, ne peut légalement autoriser ce licenciement en ce qu'il se fonde sur des agissements fautifs du salarié qui étaient déjà connus de l'employeur à la date à laquelle il a prononcé une précédente sanction disciplinaire)

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Florent Schneider

Juriste et Responsable Pôle Droit social chez Wagner et Associés