Résiliation judiciaire : les manquements de l’employeur ne sont pas périssables

Publié le 13/10/2023 à 17:00 dans Rupture du contrat de travail.

Temps de lecture : 4 min

Les manquements à vos obligations contractuelles, dès lors qu’ils sont d’une gravité suffisante, peuvent fonder le salarié à demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Pour essayer d’en réchapper, il pourrait être tentant d’invoquer la prescription des faits allégués. N’y comptez pas cependant, la Cour de cassation vient tout juste de balayer cet argument.

Résiliation judiciaire : un mécanisme de rupture du contrat à la seule initiative du salarié

La résiliation judiciaire constitue un mode de rupture du contrat de travail à la destination exclusive des salariés.

Elle offre à ce dernier le droit de saisir le juge prud’homal afin de solliciter, en raison de manquements suffisamment graves de son employeur, la résiliation de son contrat.

De cette saisine peut alors découler deux types de prononcés :

  • la rupture du contrat de travail qui, le cas Ă©chĂ©ant, produira les effets d’un licenciement sans cause rĂ©elle et sĂ©rieuse ou d’un licenciement nul ;

  • ou la poursuite de son exĂ©cution.

Bon Ă  savoir

La résiliation judiciaire se distingue, sur ce point, de la prise d’acte de la rupture. Pour rappel, la prise d’acte est un dispositif permettant au salarié de rompre immédiatement son contrat de travail, et ce, en raison de manquements suffisamment graves de son employeur. Il revient au juge, ensuite, de déterminer les effets de cette rupture au regard des griefs invoqués. Si celle-ci est justifiée, elle emportera les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul. A l’inverse, elle emportera les effets d’une démission.

S’agissant, plus spécifiquement, de la recevabilité des manquements mobilisés par le salarié, la Cour de cassation a été récemment amenée à répondre à la question suivante : est-elle limitée dans le temps ? En d’autres termes, est-elle, oui ou non, suspendue au respect de la prescription applicable à une action qui aurait été motivée par ce seul manquement ?

Résiliation judiciaire : envisageable tant que le contrat n’est pas rompu et quelle que soit la date des faits opposés

Le présent litige prend comme point de départ 2009 et la déclaration d’invalidité, en deuxième catégorie, d’une salariée employée en qualité de conseillère clientèle.

En 2015, cette salariée saisit le juge prud’homal d’une demande tenant à la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Au soutien de sa demande, elle invoque l'absence d'organisation, par son employeur, d'une visite de reprise.

Rappelons, en effet, qu’en vertu de divers arrêts rendus par la Cour de cassation, l’employeur est tenu à une telle obligation dès lors que :

  • le salariĂ© l’informe de son classement en invaliditĂ© 2e catĂ©gorie ;

  • et qu’il ne manifeste pas sa volontĂ© de ne pas reprendre le travail ;

  • et ce, mĂŞme s’il continue d’adresser des arrĂŞts de travail Ă  l’employeur.

Or, la cour d’appel de Paris déclare la demande de la salariée irrecevable car prescrite. Selon les juges du fond, cette action, introduite en 2015, ne pouvait s’appuyer sur un manquement dont le délai de contestation était expiré. Et pour cause, l’obligation de l’employeur étant née le 23 février 2009, date à laquelle la salariée l’avait informé de son statut, son manquement ne pouvait être invoqué que jusqu’au 24 février 2014.

La salariée forme alors un pourvoi en cassation et soutient, à raison, la thèse inverse.

En effet, la Cour de cassation décide de casser l’arrêt rendu par les juges d’appel au motif que l'action en résiliation judiciaire peut être introduite tant que le contrat de travail n’est pas rompu. Ce qui, par extension, permet d’écarter tout débat sur la date des faits invoqués et leur éventuelle prescription.

Par conséquent, il revenait aux juges d’examiner le bien-fondé de la demande, abstraction faite de la date des griefs invoqués.

Notez le

Dans une précédente décision, mobilisée par ailleurs dans sa motivation, la Haute juridiction avait déjà estimé que le juge saisi d’une telle demande devait « examiner l’ensemble des griefs invoqués (…) quelle que soit leur ancienneté » (Cass. soc., 30 juin 2021, n° 19-18.533). Avec ce nouvel arrêt confirmatif, le doute n’est dorénavant plus permis.

Vous souhaitez en savoir davantage sur la résiliation judiciaire du contrat de travail ? Pensez à consulter notre documentation « Tissot Social Entreprise ACTIV ».

Cour de cassation, chambre sociale, 27 septembre 2023, n° 21-25.973 (l'action en résiliation judiciaire peut être introduite tant que ce contrat n'a pas été rompu, quelle que soit la date des faits invoqués au soutien de la demande)

Portraits Tissot 046 2023 Gilles Piel 2

Axel Wantz

Juriste en droit social et rédacteur au sein des Editions Tissot