L’exercice du droit de grève dans le secteur privé

Publié le 31/01/2011 à 00:00, modifié le 11/07/2017 à 18:21 dans Sanction et discipline.

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Cesser le travail pour défendre des revendications professionnelles est un droit constitutionnel reconnu. Tant qu’il est exercé dans des conditions normales sans violence, ni séquestration, ni dégradations de matériel, et qu’il n’empêche pas les salariés non grévistes de travailler, ce droit de grève ne peut justifier ni sanction, ni licenciement.

Grève : définition

Il arrive que certaines situations soient qualifiées de grève dans le langage courant alors que juridiquement, elles n’en sont pas. L’enjeu est de taille. En effet, à défaut de constituer une grève, un mouvement pourra être qualifié de fautif par l’employeur et chacun des participants pourra faire l’objet d’une procédure disciplinaire qui pourra conduire à un licenciement.

Pour pouvoir être qualifié de grève, un mouvement doit répondre à plusieurs conditions.

La grève est un arrêt complet du travail des salariés

La grève suppose un arrêt total du travail. Il faut qu’il y ait une interruption véritable de l’activité.

Ainsi, ne peuvent être qualifiées de grèves :

  • la « grève perlĂ©e » qui consiste Ă  exĂ©cuter le travail au ralenti ou dans des conditions volontairement dĂ©fectueuses. En agissant ainsi, le salariĂ© commettrait une faute et s’exposerait Ă  des sanctions ;
  • la « grève tournante », mouvement comportant des arrĂŞts de travail successifs des diffĂ©rents ateliers ou services d’une entreprise et qui entraĂ®nent une dĂ©sorganisation de l’entreprise.

La grève suppose des revendications professionnelles

Pour être qualifiée de grève, la cessation du travail doit avoir pour objectif de défendre des revendications professionnelles. Tout arrêt de travail déclenché pour un motif autre que celui là est illicite.

Les juges font une interprétation plutôt souple de la notion de revendication professionnelle. Les revendications à la base d’un mouvement de grève peuvent être à caractère salarial.

Il est possible de faire grève :

  • pour rĂ©clamer une augmentation de salaire ;
  • pour rĂ©clamer le rĂ©tablissement d’une prime ;
  • pour demander le paiement d’heures supplĂ©mentaires, etc.

Mais la grève n’est pas nécessairement motivée par des questions de salaire. Il est possible de faire grève :

  • pour contester la stratĂ©gie de l’entreprise (nouvelle politique commerciale, etc.) ;
  • pour demander une amĂ©lioration des conditions de travail (conditions de chauffage des locaux, moyens de transport) ;
  • au nom de la dĂ©fense de l’emploi.

Il peut s’agir :

  • de protester contre les menaces de compression de personnel prĂ©figurĂ©es par le licenciement de plusieurs salariĂ©s ;
  • d’une contestation du plan de restructuration de l’entreprise ;
  • de craintes consĂ©cutives Ă  l’annonce d’un licenciement individuel Ă©conomique, « la menace sur l’emploi que faisait peser ce licenciement caractĂ©risant une revendication professionnelle de dĂ©fense et de maintien de l’emploi intĂ©ressant l’ensemble du personnel ».

Il est possible de faire grève pour des revendications relatives à l’exercice du droit syndical.

La grève est un mouvement collectif

Pour être qualifié de grève, le mouvement doit être suivi par au moins deux salariés lorsque la revendication concerne le seul périmètre de l’entreprise.

L’arrêt de travail d’un seul salarié n’est pas une grève, sauf si son action répond à un mot d’ordre national ou s’il est le seul salarié de l’entreprise.

La cessation du travail peut être limitée à une fraction du personnel (un atelier en particulier, une certaine catégorie de personnel, etc.) même minoritaire.

Grève : formalités à respecter avant de faire grève

Les salariés doivent-ils prévenir leur employeur avant de faire grève ?

Dans le secteur privé, les grévistes peuvent déclencher un mouvement de grève à n’importe quel moment. Ils n’ont pas à respecter de préavis. Il est d’ailleurs impossible qu’une convention collective ou qu’un accord collectif en instaure un. Aucun texte conventionnel ne peut avoir pour effet de limiter ou de réglementer pour les salariés l’exercice du droit de grève. Seule la loi peut créer un délai de préavis s’imposant à eux.

Mais la grève supposant des revendications professionnelles, il faut que l’employeur ait eu connaissance des revendications des salariés au moment de l’arrêt de travail. En revanche, aucune condition n’est fixée quant à la manière dont elles ont à être communiquées à l’employeur.

Les salariés ne sont pas tenus d’attendre, pour déclencher la grève, que l’employeur ait refusé de satisfaire les revendications à l’origine de la grève, ni au fait qu’elle n’a pas été précédée d’un avertissement ou d’une tentative de conciliation. La grève surprise est donc licite, sauf abus de droit.

Les salariés choisissent le moment qu’ils jugent opportun pour déclencher une grève. Il ne peut leur être reproché d’avoir choisi le moment où la grève sera la plus gênante pour l’entreprise (à une heure de grande affluence par exemple dans une entreprise commerciale, peu de temps avant qu’une commande ne soit livrée, etc.).

Dans le cadre particulier d’un mot d’ordre national, le jour de grève est connu plusieurs jours à l’avance par l’employeur.

L’appel à la grève doit-il être relayé par un syndicat de l’entreprise ?

Le droit de grève est un droit individuel. L’appel d’un syndicat à la grève n’est pas une condition nécessaire. Il n’est pas nécessaire qu’un syndicat soit implanté dans une entreprise privée pour que les salariés puissent faire grève.

Même si des syndicats sont présents dans l’entreprise, ce n’est pas parce qu’un arrêt de travail n’a pas été déclenché à l’appel d’un syndicat qu’il perd le caractère de grève.

La grève de solidarité est-elle licite ?

L’actualité sociale nous a récemment montré des exemples de grèves de solidarité. Ces grèves ont été déclenchées pour soutenir des revendications émises par d’autres salariés de la même entreprise (grève de solidarité interne) ou pour soutenir les salariés d’une autre entreprise (grève de solidarité externe).
Pourtant, ces grèves ne sont pas toujours légitimes. Pour qu’elles le soient, il faut qu’elles aient pour but de défendre les intérêts professionnels et collectifs des salariés.

Grève de solidarité interne

La grève de solidarité déclenchée à l’intérieur de l’entreprise a le plus souvent pour objet de soutenir un collègue de travail menacé d’un licenciement ou d’une sanction disciplinaire.

Pour les juges, un tel mouvement n’est licite que s’il se rattache à une revendication d’ordre professionnel concernant l’ensemble du personnel.

Il a, par exemple, été jugé qu’était licite, la grève déclenchée à la suite de l’annonce d’un projet de licenciement économique d’un salarié compte tenu de la menace que ce licenciement faisait peser sur l’emploi.

En revanche, la grève déclenchée à la suite d’un licenciement pour un motif strictement personnel est illicite.

Grève de solidarité externe

Les salariés peuvent s’associer à un mouvement revendicatif externe, dans la mesure où ce mouvement revendicatif porte en lui des revendications partagées avec les salariés de l’entreprise. Une telle grève qui dépasse le cadre de l’entreprise se présente comme une manifestation de soutien aux salariés d’autres entreprises ou d’une autre branche professionnelle.
Elle est licite dès lors que le mouvement auquel les salariés s’associent pose des revendications qui les concernent (pour exemple les récents conflits sociaux dans le secteur du pneumatique).

Grève politique

Faire grève pour répondre à un mot d’ordre national, est-ce licite ? Si la grève doit reposer sur des motifs professionnels, elle peut néanmoins avoir un aspect politique. Mais c’est à la condition qu’elle n’ait pas pour objet unique d’affirmer une position politique.

Ainsi, une grève déclenchée pour des motifs politiques sera licite si elle est aussi déclenchée par des motifs professionnels.

Les grèves suscitées par la réforme des retraites sont licites car la cause directe de ce mouvement de protestation est professionnelle, même s’il existe des éléments d’ordre politique dans ses causes profondes.

Par le passé, la Cour de cassation a déclaré licite la grève déclenchée sur le plan national pour protester contre les mesures économiques et sociales constituant le plan Barre, car les revendications justifiant cette grève (refus du blocage des salaires, défense de l’emploi, réduction du temps de travail) étaient étroitement liées aux préoccupations quotidiennes des salariés. En revanche, la protestation contre des décisions purement politiques (actes du Gouvernement, de l’administration) n’est pas un motif légitime de grève.

Grève : conséquences sur le salaire

La grève est une cessation temporaire du travail. Le salarié n’exécute pas son obligation première qui est de fournir un travail. En conséquence, l’employeur est dispensé de le rémunérer.

La diminution de la rémunération doit être exactement proportionnelle à la durée de la grève. Toutefois, la grève peut entraîner la réduction importante, voire la suppression des primes liées à une condition de présence du salarié (prime d’assiduité, de rendement) : ceci est licite si toute autre absence (pour maladie, événement familial, etc.) entraîne les mêmes conséquences.

Un accord (ou « protocole ») de fin de grève peut prévoir le paiement de tout ou partie du salaire des grévistes.

Protocole d’accord de fin de conflit et de reprise de travail (doc | 1 p. | 77 Ko)

Sachez que l’ouvrage « Tissot social entreprise » consacre une étude complète sur le droit de grève. Vous y trouverez notamment des informations les conséquences de la grève sur le contrat de travail, sur le temps de travail et la rémunération des grévistes.


Par Caroline Gary, chargée de relations humaines en entreprise