Couple de salariés : pouvez-vous leur imposer des rythmes de travail différents ?

Publié le 15/01/2024 à 11:56 dans Temps de travail.

Temps de lecture : 4 min

Le fait d’imposer à un couple de collaborateurs des horaires de travail différents et de travailler dans des services différents peut-il être considéré comme une discrimination fondée sur la situation familiale ?

Certains de mes collaborateurs sont en couple et je souhaiterais, dans ce cas, que ces salariés ne travaillent pas dans le même service et qu’ils n’aient pas les mêmes horaires. Puis-je prendre une telle décision ?

Principe de non-discrimination : la situation de famille

Il faut tout d’abord rappeler que le Code du travail dispose qu’ « aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte (…) en raison de sa situation de famille » et que le Code pénal quant à lui dispose que « constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur […] situation de famille ».

Ainsi, fonder une décision sur la situation familiale constitue une discrimination interdite.

Pouvez-vous dès lors imposer des rythmes de travail différents à des salariés en couple ?

Dans un cas soumis à l’appréciation du Défenseur des droits, un couple travaillait au sein du même magasin de bricolage. Lors de l’embauche de Monsieur A, la société n’était pas au courant des relations que celui-ci entretenait avec Monsieur B.

Ayant contracté la Covid-19, Monsieur A a transmis sa liste de contacts, sur laquelle figurait le nom de son compagnon, Monsieur B. L’attitude de ses responsables aurait alors changé.

A la reprise de leur travail, les deux salariés ont constaté que leurs plannings avaient été modifiés, de sorte qu’ils n’aient jamais un jour de repos en commun.

Saisi, le Défenseur des droits (en charge de la lutte contre les discriminations), a engagé une enquête auprès de l’employeur afin de recueillir les explications de ce dernier sur les faits de discrimination allégués. Lors de la transmission de son dossier, la société n’a pas contesté avoir pris en compte la situation de famille des salariés, expliquant s’être fondée sur un usage consistant à ne pas faire travailler ensemble au service client des salariés ayant un lien de parenté ou en couple.

Le Défenseur des droits a transmis ses recommandations à l’employeur :

  • se rapprocher des rĂ©clamants afin de procĂ©der Ă  une juste rĂ©paration de leur prĂ©judice ;
  • modifier ses pratiques en matière de planification des horaires de travail afin de respecter le principe de non-discrimination ;
  • sensibiliser l'ensemble des responsables Ă  la non-discrimination ;
  • rendre compte des suites donnĂ©es Ă  cette recommandation dans un dĂ©lai de 3 mois Ă  compter de la notification de la prĂ©sente.

Ne souhaitant pas donner suite à ces recommandations, l’employeur a adressé un courrier dans lequel il précisé, que « loin d'être une mesure discriminatoire, le fait d'éviter de ne pas planifier simultanément deux collaborateurs entretenant une relation sur le même poste s'inscrit dans une démarche à deux niveaux :

  • une gestion humaine des effectifs afin de prĂ©server de bonnes relations entre chaque collaborateur ;
  • un acte managĂ©rial de bon sens afin de prĂ©venir tout conflit d'intĂ©rĂŞt. »

En conséquence, le Défenseur des droits a constaté que les deux salariés ont été victimes de mesures discriminatoires sur le fondement de leur situation familiale, leur employeur ne rapportant pas la preuve que ces décisions étaient justifiées par des éléments objectifs et licites étrangers à toute discrimination. L’employeur n’ayant pas donné suite aux recommandations, le Défenseur des droits a rédigé et fait publier un rapport spécial au Journal officiel. La publication d’un tel rapport rendant public la discrimination opérée par la société, elle pourrait avoir un impact d’image et pourra servir de pièce en cas de contentieux.


Défenseur des droits n° 2022-170 du 2 novembre 2022
Décision n° 2023-0001 du 23 juin 2023 avec en annexe le rapport spécial pris en application de l’article 25 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011, Jo du 12 septembre