Barème Macron : encore de la résistance ?

Publié le 30/03/2023 à 14:42, modifié le 04/04/2023 à 10:10 dans Licenciement.

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En février dernier, la Cour de cassation a fait une nouvelle application du barème Macron. Depuis, les cours d’appel semblaient enfin se ranger à sa position. Mais le 16 mars dernier, la cour d’appel de Grenoble a de nouveau écarté l’application du barème Macron. Avec un motif tout nouveau qui repose sur l’inaction du Gouvernement. En parallèle une nouvelle décision de la Cour de cassation vient de tomber le 29 mars dernier où elle a encore appliqué le barème Macron dans un cas particulier.

Le résumé des épisodes précédents

Le feuilleton sur le barème Macron a commencé dès sa mise en place en septembre 2017. Des conseils de prud’hommes, suivis de cours d’appel, qui ont refusé de l’appliquer jugeant le montant attribué au salarié trop faible.

Le débat a porté sur l’application du droit européen et plus particulièrement la convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et la charte sociale européenne, lesquelles prévoient que les juges nationaux doivent pouvoir ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre réparation appropriée en cas de licenciement injustifié.

En mai 2022, on a pu croire que le débat prendrait fin avec une décision de la Cour de cassation qui a validé le barème Macron. La Cour de cassation a en effet fait valoir que les dispositions de la charte sociale européenne n'avaient pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers. Elle a aussi considéré que le Code du travail permet raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi ainsi que le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de la Convention n° 158 de l'OIT (voir notre article « Barème Macron : validé par la Cour de cassation ! »).

Mais le sujet est de nouveau revenu dans l’actualité avec deux décisions du Comité européen des droits sociaux (CEDS) en septembre et novembre 2022. Le CEDS a ainsi considéré que les plafonds du barème Macron ne sont pas suffisamment élevés pour réparer le préjudice subi par la victime et être dissuasifs pour l'employeur. Ce qui viole la charte sociale européenne (voir notre article « Barème Macron : le Comité européen des droits sociaux rend une nouvelle décision ! »).

Les décisions que prend le CEDS n’ont toutefois pas de caractère contraignant en droit français.

Et la Cour de cassation n’en a donc pas tenu compte en février en venant rappeler que le montant accordé en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse et en l’absence de possibilité de réintégration est compris entre des montants minimaux et maximaux (voir notre article « Barème Macron : nouvelle décision de la Cour de cassation »).

Mais la résistance des cours d’appel n’a pas pour autant pris effet fin avec un nouvel exemple le 16 mars dernier de la cour d’appel de Grenoble.

Les arguments de la cour d’appel de Grenoble pour écarter le barème Macron

Dans cette affaire, la cour d’appel a choisi d’écarter purement et simplement le barème Macron en raison de l’inaction du Gouvernement pour vérifier la conformité du barème Macron à la Convention nº 158 de l’OIT. Pour la cour d’appel, le Gouvernement français a en effet une obligation particulière dans le cadre de l'application de la convention nº 158 de l'OIT : faire des examen à intervalles réguliers, en concertation avec les partenaires sociaux de façon à assurer que les paramètres d'indemnisation prévus par le barème permettent, dans tous les cas, une réparation adéquate du préjudice subi pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le Gouvernement ne l’ayant pas fait, un salarié est fondé à solliciter que le barème soit écarté au regard du préjudice dont il justifie.

La cour d’appel a estimé que le juge pouvait dès lors apprécier l'étendue du préjudice causé au salarié par la perte injustifiée de son emploi en motivant l'indemnité allouée. Or en l’espèce la salariée justifiait de la persistance dans le temps de sa précarité au regard de l'emploi, était âgée de 57 ans au jour de son licenciement et éprouvait manifestement des difficultés sérieuses à retrouver à la fois un emploi stable mais encore au même niveau de rémunération. Autant d’éléments qui ont justifié une indemnité élevée.

Notez que la question du contrôle in concreto et de l’indemnité appropriée n’a dans cette affaire pas été soulevée. Reste à voir si cette position sera tentée par d’autres cours d’appel…

Sachant qu’en février et mars, de nombreuses cours d’appel ont suivi la Cour de cassation notamment la cour d’appel de Paris le 2 mars dernier qui a jugé que la rédaction du Code du travail permettait bien de fixer une indemnité adéquate au profit du travailleur privé d'emploi, entre un montant minimum et un montant maximum.

Dernière minute : Une nouvelle décision de la Cour de cassation vient de tomber concernant le barème Macron. Cette fois la Cour de cassation est venue appliquer ce barème dans une affaire de résiliation judiciaire. En effet dès lors que le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail d'un salarié aux torts de l'employeur et que la rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le barème Macron doit s'appliquer pour déterminer le montant de l'indemnité de licenciement injustifié.

Cour d'appel de Grenoble, chambre sociale, section B, 16 mars 2023, Répertoire général nº 21/02048 (le Gouvernement doit faire des examens à intervalles réguliers, en concertation avec les partenaires sociaux de façon à assurer que les paramètres d'indemnisation prévus par le barème permettent, dans tous les cas, une réparation adéquate du préjudice subi pour licenciement sans cause réelle et sérieuse)

Cour d'appel de Paris, pôle 6, chambre 7, 2 mars 2023, Répertoire général nº 19/11980 (l'article L. 1235-3 du Code du travail, dans sa rédaction applicable, permet de fixer une indemnité adéquate au profit du travailleur privé d'emploi, entre un montant minimum et un montant maximum et est donc conforme à l'article 10 de la convention nº158 de l'OIT)

Cour de cassation, chambre sociale, 29 mars 2023, n° 21-14.993 (lorsque le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail d'un salarié aux torts de l'employeur et que la rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le barème Macron s’applique)


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Anne-Lise Castell

Juriste en droit social