Mieux accompagner les salariés ayant un trouble bipolaire
De plus en plus Ă©voquĂ©e par les mĂ©dias, la bipolaritĂ© est presque entrĂ©e dans le langage commun, dĂ©signant souvent une personne « lunatique », « qui change facilement d’avis ». Or la rĂ©alitĂ© est toute autre.Â
Notions clés sur la bipolarité
Le trouble bipolaire fait partie de la famille des troubles de l’humeur et se caractĂ©rise par une alternance de phases dites « dĂ©pressives » et « maniaques ».Â
En phase dĂ©pressive (d’une durĂ©e minimum de 15 jours), le salariĂ© se sent triste et ressent une baisse d’énergie et d’intĂ©rĂŞt pour ce qui l’anime habituellement. Il peine Ă se mobiliser dans son quotidien et peut aussi avoir des idĂ©es suicidaires.Â
La phase maniaque, elle, se traduit inversement par un dĂ©bordement d’énergie qui amène la personne Ă ne plus ressentir le besoin de se reposer ou de dormir. C’est comme si son fonctionnement Ă©tait accĂ©lĂ©rĂ©, ce qui se traduit notamment par marcher, penser, parler plus vite que d’habitude et, par consĂ©quent, porter moins d’attention et d’écoute aux autres. Au cours de cette phase (d’une durĂ©e minimum de 7 jours) la personne peut ressentir un excès de confiance pouvant mener Ă des conduites Ă risque (sur les plans financiers, sexuels, professionnels). Pour certains, le burn out sera l’issue de cette phase de dĂ©bordement d’énergie et d’hyper-investissement.Â
On estime que 1 Ă 2,5 % de la population française souffre de bipolaritĂ©. Sachant que ces patients relatent en moyenne une errance diagnostique de 10 ans avant que la bipolaritĂ© soit mise en Ă©vidence, il y a fort Ă parier que ce trouble est encore plus frĂ©quent. L’Organisation mondiale de la santĂ© la classe parmi les 10 maladies les plus invalidantes et elle reste corrĂ©lĂ©e Ă un taux de suicide Ă©levĂ©.Â
Travailler quand on souffre de bipolarité
Si travailler reste un dĂ©fi pour les 40 Ă 60 % de personnes en activitĂ© souffrant d’un trouble bipolaire, la sphère professionnelle constitue un Ă©lĂ©ment stabilisant, offrant la rĂ©gularitĂ© et les repères journaliers essentiels.Â
L’enjeu du maintien dans l’emploi est crucial, d’oĂą la nĂ©cessitĂ© d’être vigilant Ă certains signes pour ajuster la conduite Ă tenir face Ă ces salariĂ©s « aux mille vies », qui ont souvent expĂ©rimentĂ© de nombreux mĂ©tiers et dont les expĂ©riences professionnelles peuvent parfois s’avĂ©rer douloureuses.Â
Ainsi, leur fluctuation d’humeur gĂ©nère un manque de fiabilitĂ© perçu, une instabilitĂ© et une sensibilitĂ© jugĂ©es comme trop fortes au regard des exigences attendues dans certaines Ă©quipes. Par ailleurs, leurs collègues peuvent avoir des difficultĂ©s Ă s’adapter Ă ces changements d’humeur, et les relations risquent dès lors de s’étioler ou de se tendre.Â
Ces difficultĂ©s inciteront certains Ă ne rien dire de leurs troubles, mĂŞme s’il est Ă©vident qu’exprimer cette particularitĂ© va permettre aux RH de rĂ©flĂ©chir aux actions Ă mener, parfois via un plan d’accompagnement personnalisĂ©.Â
Quelques bonnes pratiques pour accompagner ces salariés
Sur la montée en compétences
Apprendre Ă dĂ©tecter les signaux prĂ©curseurs d’une variation d’humeur : la première astuce est d’évaluer 3 critères :Â
- Y a-t-il un changement chez le salarié ?
- Depuis plus de 15 jours ?
- Est-ce que ça s’aggrave ?Â
Les signes spécifiques sont aussi la variation du sommeil et de l’alimentation, les conduites à risque, la diminution de la concentration, la baisse d’intérêt et d’énergie.
Permettre l’accès aux formations en soft skills pour le salariĂ© concerné : les formations sur la gestion du stress et la communication constructive sont souvent aidantes pour le salariĂ© concernĂ© et son entourage professionnel.Â
Sur l’organisation du temps de travail
Accueillir la « nostalgie de l’hyper-productivité » : stabilisés par un traitement médicamenteux et un suivi psychologique, les salariés peuvent toutefois ressentir une nostalgie à l’égard de leurs phases maniaques, qu’ils décrivent souvent comme des périodes très productives sur le plan professionnel. Cette nostalgie peut être d'autant plus difficile à vivre que les exigences professionnelles sont élevées. Les managers et RH qui accompagnent ces salariés peuvent aussi rappeler que ces périodes d’activité intense sont systématiquement suivies d’une rechute et que celle-ci s’avère risquée non seulement pour eux, mais aussi pour leur entourage professionnel.
Maintenir une régularité dans la mesure du possible : équilibrer la charge de travail, maintenir des horaires stables et plutôt en journée et limiter les déplacements professionnels. Les décalages de rythme peuvent générer une fluctuation de l’humeur, tout comme les grands changements (plan de départ volontaire, PSE, restructuration, déménagement, etc.).
Favoriser une configuration de travail « calme », diminuant le risque de sursollicitations (le bruit est souvent moins tolĂ©rĂ© avec la bipolaritĂ©).Â
Sur les relations
Favoriser la régularité des échanges : instaurer des rituels collectifs et individuels d’échanges, tant en présentiel qu’à distance. L’évolution des modes de travail et l’augmentation du télétravail peuvent être des facteurs de stress.
Etre proactif dans la relation et l’accompagnement des difficultés, particulièrement quand le salarié semble plus en retrait et réduit ses interactions (ce qui est souvent le cas en phase dépressive). En phase maniaque, le salarié sera plus expansif, aura tendance à beaucoup parler en écoutant moins ses interlocuteurs.
Sur la gestion de crise
Voir les périodes de crise non comme l’exception mais la règle : l’hospitalisation, bien que vécue comme un échec pour certains, est souvent une vraie ressource pour permettre à ces personnes de récupérer physiquement et mentalement. Les arrêts fréquents mais moins longs permettent de diminuer les risques de désinsertion professionnelle.
Soigner le ré-accueil du salarié après un arrêt : en préparant son retour avec l’encadrement mais aussi avec ses collègues, par exemple en proposant à l’un d’entre eux d’être son référent pendant ses premières semaines.
Si nĂ©cessaire, mettre en place un accompagnement personnalisĂ© type « job coaching » afin de favoriser une Ă©coute mutuelle entre le salariĂ© concernĂ©, son manager et ses collègues et leur permettre de fonctionner durablement malgrĂ© les troubles.Â
A noter qu’au-delĂ des dĂ©marches internes, certaines structures dĂ©diĂ©es Ă la rĂ©insertion professionnelle (Club House France ou BipolaritĂ© France par exemple) peuvent vous aider Ă amĂ©nager les conditions de travail des salariĂ©s concernĂ©s.Â
Haute Autorité de Santé, Troubles bipolaires : repérage et diagnostic en premier recours, juin 2014
Psychologue sociale et psychothérapeute
Claire Priquet est psychologue sociale et fondatrice du cabinet Claire Priquet Conseils.
Depuis 14 ans, elle accompagne les entreprises en prévention des risques psychosociaux. Egalement …
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