L’employeur, relaxé au pénal pour des faits de harcèlement moral, peut être condamné devant le conseil de prud’hommes !

Publié le 08/03/2023 à 07:56 dans Risques psychosociaux.

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Les faits de harcèlement moral constituent une infraction qui est sanctionnée par le droit pénal mais aussi par le droit du travail. Lorsqu’un employeur a été relaxé au pénal pour des faits de harcèlement moral, l’autorité de la chose jugée est censée s’imposer au juge prud’homal, saisi également de l’affaire. Pour autant, cela n’est pas toujours le cas et l’employeur peut être condamné par les juridictions prud’homales malgré la relaxe au pénal. Illustration.

Harcèlement moral et autorité de la chose jugée : rappels

La définition du harcèlement moral est, en droit pénal et en droit du travail, similairement la même. Il s’agit des agissements (droit du travail) ou des propos ou comportements répétés (droit pénal) qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (Code du travail, art. L. 1152-1 et Code pénal, art. 222-33-2).

Une différence subsiste cependant : l’intention. En effet, si en droit du travail il peut y avoir harcèlement moral sans intention de nuire, cela n’est pas le cas en droit pénal, les juges devant caractériser un élément moral pour que l’infraction soit établie. Cet élément moral réside dans la simple conscience de commettre les actes prohibés (et non dans l’intention de nuire). Cela résulte du principe pénaliste selon lequel « il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ».

Le fait de commettre des agissements de harcèlement moral est puni, par le droit pénal, d’une amende pouvant aller jusqu’à 30 000 euros et de deux ans de prison maximum. Le droit du travail quant à lui permet à l’employeur de sanctionner tout salarié lorsque ce dernier commet des faits de harcèlement moral par des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement.

Lorsque l’employeur est relaxé au pénal, il est de principe, selon « l’autorité de la chose jugée », que cette décision s’impose à tout autre juge dont le juge prud’homal.

Pourtant, il a déjà été jugé qu’un employeur relaxé au pénal pour des faits de harcèlement sexuel pouvait être condamné pour le même délit, aux prud’hommes.

Qu’en est-il en matière de harcèlement moral ?

Illustration avec un arrêt récent de la Cour de cassation.

Relaxe au pénal et impact sur le contentieux prud’homal

Lorsqu’elle est motivée par l’absence d’élément intentionnel, la relaxe prononcée au pénal d’un employeur accusé de harcèlement moral ne prive pas les juges civils de la possibilité de retenir cette qualification pour les mêmes faits. C’est ce qu’illustre un arrêt rendu le 18 janvier 2023 par la Cour de cassation.

Dans cette affaire, un salarié, engagé le 26 mai 2015 en qualité d'ambulancier, fait l’objet de sanctions disciplinaires à trois reprises, pour refus de procéder au nettoyage et à la désinfection des ambulances de l'entreprise durant les périodes « d'inaction » lors de ses permanences.

Le salarié est par la suite licencié pour faute grave.

Ce dernier saisit le conseil de prud’hommes ainsi que le tribunal correctionnel pour faire reconnaître l’existence d’un harcèlement moral de la part de son employeur.

Au pénal, par jugement du 2 mai 2019, l’employeur est relaxé au motif que les éléments évoqués ne permettaient pas de constituer des faits de harcèlement et que ces faits relevaient davantage d’une mauvaise gestion du personnel et d’un contentieux prud’homal plutôt que d’un harcèlement pénalement condamnable.

Devant les juridictions prud’homales, la qualification de harcèlement moral est pourtant retenue. La cour d’appel condamne l’employeur et prononce la nullité du licenciement.

L’employeur forme alors un pourvoi en cassation contre cette décision en invoquant l’autorité de la chose jugée au pénal. Mais ce sera en vain…

Le principe selon lequel la décision au pénal s’impose aux autres juridictions dont le juge prud’homal s’applique uniquement si la décision de relaxe n’est pas fondée exclusivement sur le défaut d’élément intentionnel. Or en l’espèce c’était bien précisément le cas : la relaxe découlait de l’absence d’élément intentionnel. De ce fait, cela laissait toute latitude aux juges civils de mener leur propre analyse des faits et de décider, le cas échéant, si les méthodes de management appropriées constituaient ici ou non des faits de harcèlement moral.

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Si la relaxe avait été fondée sur le défaut de matérialité des faits allégués, le principe d’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil se serait appliqué et aurait bien interdit au juge prud’homal de contredire cette décision et de considérer que ces faits constituent un harcèlement moral au sens du droit du travail.

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Cour de cassation, chambre sociale, 18 janvier 2023, nº 21-10.233 (la relaxe de l’employeur au pénal pour des faits de harcèlement moral, fondée exclusivement sur l’absence d’élément intentionnel, ne prive pas le juge prud’homal de vérifier si en droit du travail la qualification de harcèlement moral peut être retenue)

Audrey Gillard

Juriste droit social