Expertise pour risque grave : le CHSCT/CSE de l’entreprise de travail temporaire peut ordonner une expertise dans l’entreprise utilisatrice

Publié le 20/03/2020 à 06:45 dans Comité social et économique (CSE).

Temps de lecture : 6 min

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Dans le cadre du travail temporaire, il peut être complexe de déterminer les compétences respectives des instances représentatives du personnel lorsque survient une problématique touchant les salariés intérimaires. La Cour de cassation est venue nous éclairer sur les possibilités offertes aux instances de l’entreprise de travail temporaire d’intervenir directement au sein de l’entreprise utilisatrice.

Expertise pour risque grave : de quoi s’agit-il ?

Le CHSCT, désormais remplacé par le comité social et économique (CSE) et une éventuelle commission santé, sécurité, conditions de travail (CSSCT), peut faire appel à un expert habilité lorsqu'un risque grave, identifié et actuel, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l'établissement.

Attention
S’il existe une CSSCT dans l’entreprise ou l’établissement, cette dernière ne peut pas décider du recours à expert. Seul le CSE peut prendre cette décision. Le président ne prend pas part au vote.
Notez-le
Il convient d’être particulièrement vigilant lors du recours à ce type d’expertise. En effet, il vous faut vous appuyer sur des éléments étayés, objectifs et réels. Un risque hypothétique ou supposé ne saurait faire d’objet d’une expertise pour risque grave. Selon la jurisprudence, le risque grave s'entend d'un risque identifié et actuel et doit être préalable à l'expertise, c'est-à-dire objectivement constaté. La pénibilité au travail ne pouvant à elle seule le caractériser. Voir en ce sens : cass. soc., 25 novembre 2015, n° 14-11865.

Les Editions Tissot vous proposent de télécharger un modèle de délibération du CSE relative au recours à un expert habilité en présence d’un risque grave.

Délibération du CSE relative au recours à un expert agréé/habilité en présence d’un risque grave

Le financement de cette expertise est pris en charge en totalité par l’employeur. Il ne peut pas prendre part au choix de l’expert.

Il peut néanmoins contester l’expertise en saisissant le juge judiciaire dans un délai de 10 jours à compter de :

  • la dĂ©libĂ©ration du CSE dĂ©cidant le recours Ă  l'expertise s'il entend contester la nĂ©cessitĂ© de l'expertise ;
  • la dĂ©signation de l'expert par le CSE s'il entend contester le choix de l'expert ;
  • la notification Ă  l'employeur du cahier des charges, du coĂ»t prĂ©visionnel, de l’étendue et de la durĂ©e de l’expertise, s'il entend les contester ;
  • la notification Ă  l'employeur du coĂ»t final de l'expertise s'il entend contester ce coĂ»t (Code du travail, art. L. 2315-86).

Expertise pour risque grave : quelle application dans le cadre du travail intérimaire ?

La question qui se pose ici est de savoir quelle instance représentative du personnel (entreprise de travail temporaire ou entreprise utilisatrice) peut déclencher cette expertise lorsqu’un risque grave concerne des travailleurs intérimaires.

L’article L. 1251-21 du Code du travail nous apprend que « pendant la durée de la mission, l'entreprise utilisatrice est responsable des conditions d'exécution du travail, telles qu'elles sont déterminées par les dispositions légales et conventionnelles applicables au lieu de travail.
Pour l'application de ces dispositions, les conditions d'exécution du travail comprennent limitativement ce qui a trait :
1° A la durée du travail ;
2° Au travail de nuit ;
3° Au repos hebdomadaire et aux jours fériés ;
4° A la santé et la sécurité au travail ;
5° Au travail des femmes, des enfants et des jeunes travailleurs ».

Il semble alors, à la lecture de cet article, qu’il revient à l’entreprise utilisatrice de veiller à la protection de la santé et à la sécurité des travailleurs intérimaires. Cela induit nécessairement une compétence des instances représentatives du personnel de l’entreprise utilisatrice sur ces questions.

Pour autant, la Cour de cassation apporte une importante précision dans un arrêt du 26 février 2020.

En l’espèce le CHSCT d’une entreprise de travail temporaire a voté, par délibération du 16 avril 2018, le recours à une expertise relative au risque grave encouru selon lui par les salariés intérimaires employés par la société utilisatrice. L’entreprise de travail temporaire a contesté cette délibération et donc la validité de ce recours à expertise. Les juges du fond donnent raison à l’entreprise, le CHSCT se pourvoit alors en cassation.

Ce dernier soutient que les conditions de travail des travailleurs temporaires, même lorsqu’ils sont exclusivement mis à disposition d’entreprises utilisatrices, dépendent aussi de l’entreprise de travail temporaire et que par conséquent, le CHSCT peut ordonner une expertise lorsqu’un risque grave est constaté dans l’établissement où les travailleurs temporaires sont mis à disposition.

La Haute juridiction donne raison au CHSCT.

Elle réaffirme dans un premier temps que c’est au CHSCT de l’entreprise utilisatrice qu’il appartient d’exercer une mission de vigilance à l’égard de l’ensemble des salariés de l’établissement placés sous l’autorité de l’employeur.

Cependant, dans un second temps, lorsque le CHSCT de l’entreprise de travail temporaire constate que les salariés mis à disposition de l’entreprise utilisatrice sont soumis à un risque grave et actuel, au sens de l’article L. 4614-12 du Code du travail alors applicable, sans que l’entreprise utilisatrice ne prenne de mesures, et sans que le CHSCT de l’entreprise utilisatrice ne fasse usage des droits qu’il tient dudit article, il peut, au titre de l’exigence constitutionnelle du droit à la santé des travailleurs, faire appel à un expert agréé afin d’étudier la réalité du risque et les moyens éventuels d’y remédier.

Notez-le
Cette solution permet au CHSCT (ou au désormais CSE) de l’entreprise de travail temporaire d’ordonner une expertise pour risque grave au profit des travailleurs intérimaires travaillant pour le compte d’une entreprise extérieure uniquement dans le cas où :
- il est avéré qu’il existe un risque grave et actuel pour ces travailleurs ;
- il est constaté l’inaction de l’entreprise utilisatrice et de l’institution représentative du personnel en charge des questions de santé et sécurité en son sein.
Il revient alors aux juges du fond de vérifier si le risque grave et actuel invoqué ainsi que l’inaction de l’entreprise utilisatrice sont ou non avérés.

Afin de connaître les modalités classiques de désignation d’un expert habilité pour mener une expertise, les Editions Tissot vous recommandent leur documentation « Comité social et économique : agir en instance unique ».


Cour de cassation, chambre sociale, 26 février 2020, n° 18-22.556 (lorsque le CHSCT de l’entreprise de travail temporaire constate que les salariés mis à disposition de l’entreprise utilisatrice sont soumis à un risque grave et actuel sans que l’entreprise utilisatrice ne prenne de mesures, et sans que le CHSCT de l’entreprise utilisatrice ne fasse usage des droits qu’il tient dudit article, il peut, au titre de l’exigence constitutionnelle du droit à la santé des travailleurs, faire appel à un expert agréé afin d’étudier la réalité du risque et les moyens éventuels d’y remédier)

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Marc Kustner

Gérant de la société FOKUS dédiée à la formation et à l'accompagnement des représentants du personnel (www.fokus-cse.com)

https://www.fokus-cse.com
Juriste et formateur en droit social
Spécialiste des relations sociales