Vos réactions sont-elles assez « félicifiques » ?

Publié le 17/01/2023 à 07:34 dans Management.

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En tant que salarié, puis dans votre fonction d’encadrant, vous avez souvent vérifié que la seule reconnaissance par le salaire ne suffisait pas à motiver. Apporter des récompenses aux actions quotidiennes donne de bien meilleurs résultats. Pourtant, certaines semblent générer plus de motivation que d’autres… pourquoi ?

Le rôle des plaisirs et des peines : une histoire déjà ancienne

Le XVIIIe siècle a été un tournant dans la pensée économique par le triomphe de la doctrine utilitariste. Bien que souvent critiquée, cette doctrine repose sur un postulat pourtant très utilisé : les individus ne conçoivent leurs actions que sous le rapport du plaisir et de la peine qu’elles leur donnent. Ainsi, chacun procède à un calcul hédoniste conduisant à rechercher les actions qui apportent le plus de plaisir. Parmi les philosophes et économistes qui ont poussé au maximum les conséquences pratiques de ce postulat, on trouve Jeremy Bentham. Né en Angleterre en 1748, avocat de formation, il professa qu’en morale on ne devait pas admettre d’autre règle que l’utilité de nos actions. Parmi les diverses applications de cette approche, il en est une qui intéresse particulièrement le management. Chaque action réalisée crée des effets positifs et des effets négatifs, et ce, pour un temps plus ou moins long avec divers degrés d’intensité. Restait à savoir comment établir la juste « valeur » hédoniste de ces conséquences. C’est dans ce but que Bentham mit au point une méthode de calcul du bonheur et des peines : le calcul félicifique (« felicific calculus ») !

Le calcul félicifique… quésaco ?

Il s’agit de mesurer par des règles précises la « quantité » de plaisir et de peine que les conséquences de nos diverses actions contiennent. Si, à la suite d’une action, vous obtenez une quantité de plaisir plus forte que de peine, cela augmentera votre envie de la refaire. Pour cela, Bentham établit sept critères représentant la « force » motivante des conséquences de nos actions :

  1. leur durée : un plaisir durable obtenu par suite d’une action aura plus d’influence qu’un plaisir passager.
  2. leur intensité : un plaisir intense sera plus influençant qu’un plaisir de plus faible intensité.
  3. leur certitude : un plaisir que l’on sait accessible avec certitude, par suite de nos actions, augmente notre motivation à réaliser ces actions.
  4. leur proximité avec l’action : un plaisir immédiatement obtenu sera plus influençant qu’un plaisir obtenu à plus long terme.
  5. leur étendue : un plaisir partagé avec d’autres est plus motivant qu’un plaisir vécu seul.
  6. leur fécondité : ce terme appartient au vocabulaire du xviiie siècle, pourtant il évoque un phénomène que vous avez souvent vérifié, à savoir qu’un plaisir ou une satisfaction qui en entraîne d’autres par enchaînement ou rebond sera plus influençant dans votre motivation qu’un plaisir simple, centré sur lui-même.
  7. leur pureté : là encore, ce terme est évidemment daté, mais il signifie simplement qu’un plaisir qui n’entraîne pas de souffrance ultérieure créera plus de motivation qu’un plaisir qui risque d’en apporter.

Théoriquement, l’action la plus motivante sera celle qui réunit le plus grand nombre de critères. À vous d’en faire l’expérience !

Qui définit cette quantité « félicifique » ?

Cette approche de la motivation peut vous sembler bien mécanique. Nous en convenons. Pourtant, elle reste encore la plus usitée dans le monde des affaires. Cependant il faut y ajouter un aspect souvent oublié : une conséquence est jugée positive ou négative par celui qui la reçoit. Voici une situation qui pourrait illustrer ce phénomène :

  • collaborateur : « Voici l’étude que vous m’aviez demandĂ©e… !
  • manager : Ah oui, au fait, votre dernier rapport Ă©tait vraiment excellent… l’équipe projet a Ă©tĂ© bluffĂ©e ! J’ai pensĂ© qu’à partir de maintenant vous vous occuperiez de ce type d’enquĂŞte parce que vous ĂŞtes vraiment le meilleur ! »

Cette réaction du manager va-t-elle représenter aux yeux du collaborateur une conséquence positive ou négative, suite à son action ? Pour répondre, il faut alors mettre dans la balance le fait que rien ne prouve qu’un surcroît de travail occasionne obligatoirement joie et plaisir. Cela n’a bien sûr rien à voir avec une quelconque paresse, juste avec ce que le collaborateur souhaite vraiment. Dans ce cas, souhaite-t-il devenir LE spécialiste de ce type de travail ? Rien ne vous permet de le penser et il vous faudra en connaître un peu plus pour le savoir. En revanche, il est certain qu’aux yeux du manager, sa réaction constitue une conséquence positive.

Le monde professionnel est donc plein de ces types de préjugés sur ce qui peut faire « plaisir » et être motivant pour vos collaborateurs. Pourtant, il est fascinant de vérifier la diversité des aspirations dans une équipe, lorsque nous sommes un peu entraînés à les reconnaître. Écoutez vos collaborateurs, regardez-les fonctionner, et vous trouverez les réactions qui leur seront adéquates.

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Pascal Jacquin

Expert en communication interpersonnelle

20 ans d’expérience comme responsable commercial, puis comme directeur de la formation dans diverses grandes entreprises.

Consultant depuis 2004 en ingénierie pédagogique et spécialiste des domaines …