Refuser les apéros fun et très alcoolisés de l’entreprise relève de la liberté d’expression du salarié

Publié le 24/11/2022 à 16:47 dans Licenciement.

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Ce n’est pas parce qu’un salarié refuse de participer aux pots de fin de semaine et aux séminaires qui permettent de partager les valeurs « fun and pro » de l’entreprise que vous pouvez le licencier. Refuser de participer à des évènements où l’alcool et les pratiques prônées par l’employeur entraînent certaines dérives relève de la liberté d’expression et d’opinion du salarié. Un bon rappel avant les fêtes de fin d’année qui fait suite à une décision de la Cour de cassation.

Liberté d’expression : refuser les apéros

« Fun & pro, telle est notre devise ». Mais attention aux dérapages. Imposer aux salariés de participer à des séminaires, des apéros où l’alcool coule à flot et où les excès et dérapages sont coutumiers et encouragés par la direction n’est pas une bonne idée. Cela peut porter atteinte à la liberté d’opinion et d’expression des salariés.

Et vous ne pouvez pas sanctionner un salarié qui refuse de participer à de tels évènements puisqu’il exerce sa liberté d’opinion et d’expression, une liberté fondamentale. Pour rappel, un licenciement qui repose sur la violation d’une liberté fondamentale est nul même si vous reprochez également au salarié d’autres manquements professionnels. Pour exemple, on peut citer l’affaire qui vient d'être jugée par la Cour de cassation.

Violation d’une liberté fondamentale : licenciement nul même si d’autres faits sont reprochés au salarié

Dans une entreprise où les valeurs se veulent « fun & pro », un salarié a été licencié pour insuffisance professionnelle. On lui reprochait notamment son absence d’intégration et de partage des valeurs « fun & pro » de l’entreprise.

Mais la politique de cette entreprise ne se limitait pas à une valeur d’entreprise ou à une méthode de management.

« Fun and pro » se traduisait notamment par la participation à des séminaires et à des pots de fins de semaine générant fréquemment une alcoolisation excessive des participants. Cette ambiance alcoolisée était encouragée par les associés qui mettaient à disposition de grandes quantités d’alcool.

Les employeurs prônaient également des pratiques liant promiscuité, brimades et incitation à des excès et dérapages. Des pratiques humiliantes et intrusives dans la vie privée telles que des simulacres d'actes sexuels, l'obligation de partager son lit avec un autre collaborateur lors des séminaires, l'usage de sobriquets pour désigner les personnes et l'affichage dans les bureaux de photos déformées et maquillées.

Le salarié contestait son licenciement et sollicitait son annulation.

Pour le coup, la cour d’appel avait bien constaté qu’on ne pouvait pas reprocher au salarié son absence d’intégration de la valeur de l’entreprise. Son refus d’adhérer à ces valeurs « fun & pro » participait de sa liberté d’opinion et d’expression.

Toutefois, la cour d’appel refusait d’annuler le licenciement qui était, selon elle, pour partie justifié.

En effet, elle retenait les reproches qui étaient faits au salarié et qui portaient sur son comportement : sa rigidité, son manque d'écoute, son ton parfois cassant et démotivant et son impossibilité d'accepter le point de vue des autres. Ces reproches ne remettent pas en cause ses opinions personnelles. Ainsi, pour la cour d’appel, le licenciement était pour partie justifié.

Mais elle reconnaît toutefois que les valeurs de l’entreprise trouvent leur limite dans la liberté d’opinion et d’expression du salarié. Ainsi, en refusant la politique de l’entreprise basée sur le partage de la valeur « fun & pro » et ses excès, le salarié a exercé sa liberté d’expression et d’opinion sans commettre d’abus.

Alors pour la Cour de cassation, même s’il n’est prononcé qu’en partie sur une violation d’une liberté fondamentale, le licenciement est bien nul. L’affaire sera rejugée.

Cour de cassation, chambre sociale, 9 novembre 2022, n° 21-15.208 (le refus d’accepter la politique « fun and pro » de l’entreprise et ses excès relève de la liberté d’expression du salarié)

Isabelle VĂ©nuat

Juriste en droit social et rédactrice au sein des Editions Tissot