Voyage d’affaires et relation intime : un harcèlement sexuel peut-il être reconnu ?

Publié le 15/03/2023 à 09:31 dans Risques psychosociaux.

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Des relations intimes, a priori librement consenties, ayant lieu au cours d’un voyage d’affaires peuvent-elle conduire à la reconnaissance d’un « harcèlement sexuel » ? Et, pire, à la rupture du contrat et à son annulation ? Questions alambiquées apparemment. Mais qui, vous vous en doutez déjà, ont bel et bien donné lieu à un arrêt de la Cour de cassation. Examinons-le ensemble.

Harcèlement sexuel au travail : quelques rappels

Qu’est-ce que le harcèlement sexuel ?

Sans surprise, côté pénal, il s’agit d’une infraction. En l’occurrence, un délit sanctionné d’une peine de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, sauf circonstances aggravantes (Code pénal, art. 222-33).

Côté professionnel, c’est le Code du travail qui nous éclaire (en partie) : « Aucun salarié ne doit subir des faits :

1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;

(…)

2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers » (C. trav., art. L. 1153-1).

Aucune personne ayant subi ou refusé de subir des faits de harcèlement sexuel ne peut être licenciée de ce fait.

Dans le cas contraire, le licenciement pourrait être annulé. Pas seulement qualifié de licenciement sans cause réelle et sérieuse donc, mais bien nul.

Subtil ? Qu’en est-il en pratique ?

La nullité de la rupture du contrat découlant du harcèlement sexuel

Dans notre affaire, une jeune femme de 22 ans débute sa carrière professionnelle en tant qu’aide-comptable au sein d’une société angevine en février 2016.

Au bout de quelques mois, elle participe à un voyage d’affaires au cours duquel elle a une relation intime avec son employeur.

Rapidement après, en octobre, elle est en arrêt de travail.

Le 14 décembre 2016, estimant avoir subi un harcèlement sexuel, elle saisit le conseil de prud’hommes pour que soit prononcée la résiliation judiciaire du contrat de travail (et dire que celle-ci produit les effets d'un licenciement nul).

L’employeur, lui, la licencie « pour faute grave » le 22 décembre 2016 (soit 8 jours plus tard).

En quoi une relation intime entre deux adultes, au cours d’un voyage d’affaires, pourrait-elle constituer un harcèlement sexuel ?

C’est ce que soutenait la société en l’occurrence, pour laquelle « les comportements ou propos à caractère intime ou sexuel des protagonistes relèvent de la sphère privée et sauraient influer sur leur sphère professionnelle ».

Oui mais… en matière de harcèlement, la charge de la preuve est (heureusement) aménagée puisqu’il est ô combien difficile à prouver.

Pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement sexuel, il appartient au juge :

  1. d’examiner l’ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement ;
  2. si c’est le cas, le juge doit alors apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Et justement, dans notre affaire, le juge a d’abord pris les éléments dans leur ensemble pour présumer l’existence d’un harcèlement sexuel de la part de l’employeur sur sa jeune recrue.

A savoir :

  • l'absence de limite fixĂ©e par l’employeur au sein de l'entreprise entre la sphère privĂ©e et la sphère professionnelle ayant crĂ©Ă© volontairement les circonstances lui permettant de se rapprocher de la salariĂ©e pour obtenir de sa part des faveurs sexuelle ;
  • le fait que d'autres salariĂ©s se soient plaints de son comportement ;
  • ou encore qu'il a tout mis en Ĺ“uvre pour crĂ©er une intimitĂ© physique avec elle dans le but d'obtenir ses faveurs sexuelles.

Puis, la cour a constaté l’absence d’éléments objectifs de la part de l’employeur permettant d’exclure la qualification de harcèlement sexuel.

Au final, le juge a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de la salariée, qui produit les effets d'un licenciement nul à la date du 22 décembre 2016.

Pour vous accompagner dans la prévention et la lutte contre le harcèlement sexuel en entreprise, les Editions Tissot vous suggèrent leur documentation « Obligations et bonnes pratiques en santé sécurité au travail ».


Cour de cassation, chambre sociale,15 février 2023, n° 21-23.919 (pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement sexuel, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement)

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Sabine Guichard

Sabine Guichard, juriste de droit social de formation, a successivement occupé des postes en entreprise et fédération professionnelle, d'abord en conseil puis de manière opérationnelle. Aujourd'hui, …